La lettre adressée par le Procureur général du Roi et Président du Ministère public, Hicham El Ballaoui, aux parquets du Royaume pourrait, à première vue, passer pour un rappel technique, un simple ajustement administratif. Pourtant, derrière l’instruction demandant d’inscrire systématiquement la date de commission du crime dans les ordres de mise en détention, se dessine une interrogation plus profonde sur la manière dont la justice marocaine construit ses récits, traite ses temporalités et articule le rapport entre légalité, responsabilité et équité.
Car la date d’un acte criminel n’est jamais un détail. C’est un pivot. Une balise temporelle qui organise tout l’édifice judiciaire : le calcul de la prescription, la détermination de l’âge de l’auteur au moment des faits, la nature de la peine exécutoire ou encore la possibilité d’intégrer plusieurs sanctions selon les règles du Code pénal.
La temporalité comme clé de voûte de la rigueur judiciaire
La circulaire rappelle que le moment exact de l’infraction détermine des éléments essentiels :
– la validité de la poursuite au regard de la prescription ;
– le statut juridique du mis en cause (mineur ou majeur) selon la date des faits ;
– les conditions d’exécution d’une peine privative de liberté ou d’un recours à la contrainte par corps.
Dans un système judiciaire caractérisé par la densité des dossiers et la complexité croissante des procédures, la précision temporelle devient un levier de sécurisation. Elle garantit non seulement la cohérence du traitement pénal, mais aussi la protection des droits de la défense. Elle évite les chevauchements, les malentendus, les décisions contradictoires — ces zones d’ombre où le droit peut vaciller.
Les nouvelles exigences d’un Code de procédure en mutation
L’exigence formulée par El Ballaoui s’inscrit dans la dynamique du nouveau texte modifiant le Code de procédure pénale (loi 03.23). Ce dernier, en renforçant les conditions de l’action publique, impose une rigueur documentaire plus élevée pour anticiper les difficultés ultérieures : cumul de peines, intégration des sanctions, contrôle de l’âge au moment des faits, et conditions d’application de la contrainte par corps.
En demandant que la date soit consignée avec exactitude, le Procureur général vise à prévenir les dérives d’une justice où la temporalité pourrait être déformée, interprétée ou laissée à l’appréciation. Le droit, pour rester opérant, a besoin d’un ancrage solide : une chronologie fiable.
De la technique à la philosophie du droit
Ce qui apparaît d’abord comme une précision de procédure traduit en réalité une orientation normative : celle d’une justice qui cherche à se moderniser en consolidant ses fondations.
Le choix d’insister sur « la date » renvoie à une conception de la justice comme chaîne d’actes cohérents, où chaque élément — même le plus discret — contribue à produire une décision légitime.
Car une peine n’est pas qu’un résultat. C’est l’aboutissement d’une architecture logique où l’exactitude documentaire devient un instrument d’équité.
En toile de fond : un changement de culture judiciaire
Au-delà du document administratif, cette consigne signale une transformation plus large. Le Maroc connaît une évolution de la perception sociale de la justice : plus attentive aux garanties, plus vigilante face aux abus potentiels, plus sensible à la nécessité d’une rigueur procédurale qui protège autant qu’elle sanctionne.
L’État, de son côté, semble redéfinir son rapport à l’exactitude et à la transparence, cherchant à instaurer une justice plus prévisible, plus maîtrisée, mieux alignée sur les standards contemporains.
La demande d’El Ballaoui n’est donc pas un geste isolé. Elle marque une étape dans une transition où le formalisme n’est plus une lourdeur, mais une garantie — où la date d’un acte n’est pas une simple information, mais un repère essentiel dans la fabrication de la vérité judiciaire.
