mardi, décembre 2, 2025
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Saïd Naciri inaugure une nouvelle ère : « Chlâhbiyya » entre YouTube et les salles de cinéma

Dans un geste qui peut sembler anodin sur nos écrans, mais qui prend des dimensions profondes, l’artiste et réalisateur Saïd Naciri a décidé de rompre avec le modèle traditionnel de diffusion : il propose son nouveau film « Chlâhbiyya » sur sa chaîne officielle YouTube — moyennant une somme symbolique — seulement deux semaines après sa sortie en salles. Ce n’est pas qu’une question de calendrier : c’est une proposition publique sur la relation entre le cinéma et son public, et un test d’une équation économique et sociale fondée sur la solidarité plutôt que sur l’exclusivité.

L’initiative de Naciri affiche un visage humain clair : rendre le film accessible aux villes et villages dépourvus de salles de cinéma, alléger la charge financière des familles et permettre à la diaspora marocaine de le visionner immédiatement. Ces arguments ne sont pas anodins ; ils touchent une problématique réelle du paysage culturel marocain — l’inégalité d’accès à la culture, qui impacte la qualité de l’expérience et la liberté de visionnage. Lorsque Naciri évoque que 20 dirhams permettent à une famille de regarder le film ou à un cafetier de le projeter pour ses clients, il esquisse une forme d’« économie locale » de la culture, où la participation directe devient une ressource immédiate.

Mais au-delà des intentions, des questions professionnelles et stratégiques émergent. Ce modèle peut-il constituer une alternative durable aux salles traditionnelles ou aux accords avec les plateformes et la télévision ? Ou s’agit-il d’une initiative ponctuelle pour passer un message social, au risque de fragiliser des structures de distribution et des compensations basées sur des contrats existants ? Le succès dépend aussi de la capacité de Naciri et des producteurs à protéger les droits numériques contre le piratage — un enjeu qu’il reconnaît et sur lequel il insiste en appelant le public à ne pas partager les liens, mais la seule recommandation ne suffit pas face à la rapidité des échanges numériques.

Économiquement, le tarif symbolique de 20 dirhams comporte une double dimension : il élargit le public potentiel et reflète une approche solidaire, mais il pourrait limiter le retour sur investissement si le nombre de visionnages payants reste insuffisant et si les stratégies marketing ne suivent pas. Ainsi, la réussite ne se mesurera pas seulement sur le plan éthique, mais aussi comptable : nombre d’abonnés, taux de visionnage réel, utilisation dans les cafés et lieux publics.

Sur la scène cinématographique marocaine et internationale, cette initiative revêt un caractère expérimental séduisant : si elle réussit, elle pourrait encourager d’autres producteurs à adopter des canaux de diffusion directe, notamment pour des œuvres sociales ou politiques difficiles à promouvoir via les grandes plateformes ou soumises à de longs délais de diffusion. Le succès repose cependant sur la réaction du public — sa fidélité, sa confiance dans la qualité de l’expérience digitale, et sur la capacité des salles et institutions à s’adapter à une diffusion simultanée susceptible de transformer les conditions de distribution et de rémunération.

Politiquement et socialement, le geste dépasse la simple promotion : il reconnaît que la culture ne doit pas être un luxe réservé aux centres urbains ou aux classes aisées, et que les producteurs peuvent, s’ils le souhaitent, placer le public au cœur de leur démarche. Cela rejoint un débat plus large sur les politiques culturelles : le retrait de l’État dans le financement et la facilitation de l’accès au cinéma peut-il être compensé par des initiatives solidaires du secteur privé et des créateurs ?

Des risques juridiques et réglementaires existent également : contrats avec les salles, droits des artistes et collaborateurs, accords de distribution — tous pourraient être affectés par une diffusion numérique simultanée, même symbolique. Un dialogue clair et rapide entre producteurs, syndicats et salles est nécessaire pour éviter des conflits qui pourraient compromettre l’initiative.

Lecture critique : l’initiative de Saïd Naciri est courageuse car elle place le public au centre et propose un modèle alternatif susceptible d’élargir l’accès et de générer un revenu direct. Mais elle comporte des défis économiques et juridiques nécessitant une structure plus institutionnelle qu’une décision individuelle. Si « Chlâhbiyya » est un point de départ, le véritable test sera de savoir si Naciri et ses partenaires pourront transformer cette initiative en protocole reproductible — avec protection des droits et coordination avec les salles — ou si elle restera une expérience ponctuelle, belle par son humanisme mais limitée dans sa portée sur le marché.

Recommandations synthétiques pour les acteurs :

  • Établir un cadre contractuel clair pour une diffusion simultanée respectant les droits des salles et producteurs.

  • Mettre en place des protections numériques efficaces et simples à utiliser (DRM).

  • Lancer une campagne de sensibilisation expliquant la justification du tarif symbolique et l’importance de préserver les droits des créateurs.

  • Tester des modèles tarifaires flexibles (famille, individuel, cafés) et analyser rapidement les données pour ajuster la stratégie.

Le cinéma n’est pas seulement une image : c’est un réseau de relations — avec le public, le marché, la loi. Avec cette initiative, Saïd Naciri ouvre un débat : allons-nous créer de nouvelles normes ou observer une expérience isolée ? Le temps et l’engagement du public répondront.

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