mardi, décembre 2, 2025
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Benkirane – Ouzzine : Quand la “kharata” du passé devient un miroir pour les questions du présent

En quelques secondes d’une vidéo apparemment anodine, Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et secrétaire général du PJD, a rallumé une affaire que beaucoup croyaient close : la fameuse affaire de la “kharata” qui avait coûté son poste à Mohammed Ouzzine en 2015. Mais ce retour au passé n’est, en réalité, qu’un prétexte pour interroger le présent, pointer les écarts, et dévoiler les contradictions d’un système où la responsabilité politique reste une équation instable.

Scène première : Benkirane revisite son propre archive

Dans la vidéo, Benkirane lâche ses phrases avec sa spontanéité habituelle :
« Ouzzine a été limogé pour une kharata… alors combien faut-il de sécheresses et de khratat pour pousser les ministres de la Santé et de l’Éducation à démissionner ? »

Le propos est simple, presque populaire, mais il porte une charge symbolique puissante. La “kharata” n’est plus un simple outil pour sécher une pelouse : elle est devenue un symbole du scandale public, de la sanction immédiate, de la responsabilité assumée, qu’on brandit à chaque fois qu’un dysfonctionnement éclate sous les projecteurs.

En invoquant cette image, Benkirane met en lumière une incohérence profonde :
Pourquoi limoger un ministre pour une erreur technique isolée, alors que des dossiers autrement plus graves — conflits d’intérêts, marchés massifs, milliards engloutis — ne semblent provoquer ni démission, ni remous sérieux ?

Son attaque vise donc moins Ouzzine que la logique même de la reddition des comptes au Maroc.

Ouzzine : du bouc émissaire au symbole politique

Aujourd’hui, Mohammed Ouzzine n’est plus ce ministre poussé vers la sortie sous la pression de la dérision publique. Il est devenu un acteur central de l’opposition, un leader de la scène politique, et l’un des visages du retour en force du Mouvement Populaire.

Première perspective : Une mémoire politique qui ne disparaît jamais

L’affaire du stade Moulay Abdellah s’est incrustée dans l’imaginaire collectif. À chaque crise de gestion, l’image du ministre tenant une kharata refait surface.
Benkirane joue ici avec cette mémoire, non pour attaquer Ouzzine, mais pour poser une vraie question :
la mémoire collective gouverne-t-elle mieux que les institutions ?

Deuxième perspective : Critique d’un système plutôt que d’un homme

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la forme, le message n’est pas dirigé contre Ouzzine. C’est un message adressé au système décisionnel :
l’absence de norme claire en matière de responsabilité.
Une faute technique vaut une démission ; une faute structurelle vaut… un silence.

Troisième perspective : Quand la satire devient un outil d’analyse

La phrase : « une Russe a ri de lui » souligne un autre point sensible.
Elle évoque la puissance de la dérision dans l’ère numérique :
un rire, un mème, une vidéo peuvent parfois provoquer plus de dégâts politiques qu’un rapport administratif.

Benkirane pointe ainsi une réalité contemporaine :
la politique se joue désormais à la fois dans les institutions et dans l’espace symbolique.

Institutions et responsabilité : les lignes de faille

Les propos de Benkirane ouvrent une réflexion nécessaire sur les mécanismes de responsabilité au Maroc.

Le prisme historique

Le Maroc a connu des limogeages rapides pour des affaires symboliques, souvent disproportionnées par rapport à leur impact réel.
À l’inverse, des dossiers majeurs, touchant aux finances publiques ou à l’intégrité administrative, ne génèrent aucune sanction visible.

Le prisme juridique

Le cadre légal est clair : les ministres sont responsables de leurs secteurs.
Mais son application dépend souvent de la conjoncture politique, non d’une règle stable.
C’est ici que se situe la critique de Benkirane :
une responsabilité variable selon le contexte, l’humeur publique, ou la force des acteurs impliqués.

Un message à double cible : l’opposition et les institutions

Les déclarations de Benkirane sont aussi un message interne au champ politique.

Pour lui-même et son parti

Il cherche à reconstruire le rôle moral du PJD, celui de la voix qui dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.

Pour Ouzzine

La référence à la “kharata” n’est pas tant une attaque qu’un rappel symbolique :
dans la politique, les images collent plus longtemps que les rapports officiels.

Mais elle est aussi la reconnaissance implicite que
Ouzzine fait désormais partie des figures centrales du paysage politique, suffisamment visibles pour devenir la cible de comparaisons et de récits politiques.

Pourquoi les Marocains applaudissent-ils Benkirane ?

Parce que son discours touche un point sensible :
la lassitude sociale face à l’impunité perçue,
la frustration devant les scandales qui passent sans suite,
et le sentiment que la politique manque de cohérence et de lisibilité.

Benkirane joue sur ce fil : celui de la vérité intuitive, celle que partagent les citoyens avant même de l’exprimer.

Conclusion : vérité politique ou stratégie rhétorique ?

Le discours de Benkirane mêle les deux.

Il dit une vérité : l’absence d’un standard clair de responsabilité politique.

Il pratique la stratégie : reprendre un symbole fort pour rappeler une injustice perçue.

Il maîtrise l’émotion : la kharata comme image éternelle du scandale facile.

Mais au-delà des mots, son intervention met en scène le paradoxe fondamental de la politique au Maroc :
un pays où la gestion évolue, mais où la responsabilité reste encore un territoire mouvant, oscillant entre la règle, l’émotion et l’opportunité.

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