La scène médiatique marocaine traverse une de ces secousses qui ne relèvent ni de l’incident isolé, ni de la simple polémique. La fuite d’un enregistrement attribué aux membres de la Commission d’éthique et des affaires disciplinaires, relevant du comité provisoire chargé de la gestion du secteur de la presse et de l’édition — dans le cadre du dossier du journaliste Hamid El Mahdaoui — a agi comme un révélateur brutal d’un dysfonctionnement plus profond.
Ce que l’opinion publique a entendu dans cet enregistrement ne ressemble ni à une délibération sereine, ni à un exercice d’autorégulation professionnelle. Cela ressemble davantage à un espace traversé par des tensions, des préjugés, et une confusion inquiétante entre pouvoir disciplinaire et impulsions personnelles.
Le Parti de la Justice et du Développement (PJD), à travers son dernier communiqué, a saisi cette brèche pour ouvrir un débat plus vaste : celui de la faillite du cadre institutionnel actuel qui régit l’autorégulation du secteur.
1. L’autorégulation mise à nu : quand la pratique contredit la philosophie
L’autorégulation repose sur deux piliers :
-
l’indépendance des journalistes vis-à-vis du pouvoir politique ;
-
la capacité du corps professionnel à se discipliner lui-même en respectant des normes déontologiques.
Or, la situation révélée par cette fuite pose une question centrale :
comment une instance ayant perdu sa légitimité légale depuis l’expiration de son mandat peut-elle prétendre incarner une autorité morale au-dessus des journalistes ?
Prolongée à plusieurs reprises par décision gouvernementale, la commission provisoire évolue aujourd’hui dans une zone grise institutionnelle, fragilisant jusque dans son essence l’idée même d’autorégulation.
Le scandale n’est donc pas seulement celui d’un langage déplacé ou d’une attitude partiale. Il est celui d’un modèle institutionnel qui ne tient plus.
2. Le PJD… entre opportunité politique et cohérence argumentative
Le PJD ne s’est pas contenté de dénoncer les « propos offensants » circulant dans l’enregistrement. Il a replacé ces faits dans une lecture plus large :
-
la commission a perdu sa légalité,
-
le gouvernement maintient son existence en dehors du cadre juridique,
-
et cette dérive délégitime la mission même de l’organe chargé de l’éthique journalistique.
Le message du parti est double :
● Aux autorités exécutives :
Vous êtes responsables du chaos institutionnel actuel car vous avez prolongé la durée de vie d’un organe déjà caduc.
● Au corps journalistique :
Le silence face à ce prolongement illégal a rendu possible ce qui est aujourd’hui entendu dans l’enregistrement.
Ce positionnement permet au PJD de revenir sur un terrain stratégique : celui des libertés, de la transparence institutionnelle et de la gouvernance — un terrain qu’il cherche à réinvestir après une période de retrait.
3. L’appel à une enquête judiciaire : un déplacement du débat sur un terrain plus lourd
En réclamant une enquête judiciaire urgente, le PJD déplace la crise du champ professionnel vers le champ institutionnel.
Car les éléments contenus dans l’enregistrement touchent à :
-
la crédibilité du système judiciaire,
-
l’image d’une commission censée garantir l’impartialité,
-
et l’intégrité du traitement d’un journaliste déjà placé au cœur d’un débat public sensible.
Il ne s’agit donc plus uniquement d’un débat « interne » à la profession.
L’affaire prend la dimension d’un enjeu national concernant la confiance dans les institutions.
4. La demande de démission/éviction : constat de mort institutionnelle
Lorsque le PJD appelle à la démission ou à la révocation immédiate des membres de la commission, il ne fait pas seulement pression sur les individus.
Il acte, en termes politiques, la fin de la crédibilité d’une instance déjà privée de légalité depuis longtemps.
Car lorsqu’une institution :
-
perd sa base juridique,
-
perd sa crédibilité éthique,
-
puis perd la confiance du public,
elle devient une coquille vide, maintenue artificiellement en vie par la seule volonté de l’exécutif.
5. Retrait du projet de loi : un avertissement adressé à l’État
En exigeant le retrait du projet de loi relatif au Conseil national de la presse du Parlement jusqu’à la fin de l’enquête, le PJD vise un objectif stratégique :
-
mettre en pause le processus législatif,
-
empêcher toute tentative de « normalisation » de la crise,
-
et souligner qu’aucune réforme sérieuse ne peut être édifiée sur des fondations aussi fragilisées.
C’est un appel à repartir de zéro et à reconstruire l’architecture de l’autorégulation de manière transparente, démocratique et légale.
Conclusion analytique : une crise bien plus profonde qu’un simple enregistrement
Ce scandale n’est pas un accident.
Il révèle trois réalités de fond :
-
L’échec du modèle actuel d’autorégulation, devenu un prolongement administratif de l’exécutif.
-
Le vide juridique dans lequel évolue la commission provisoire, entretenu par des prolongations répétées.
-
La rupture de confiance entre les professionnels et l’instance censée les représenter, rupture désormais visible par toute la société.
En d’autres termes :
la crise actuelle n’est pas une crise de personnes, mais une crise de système.
Elle appelle une refondation complète du mécanisme d’autorégulation, pour restaurer l’indépendance, la légitimité et la crédibilité d’un secteur dont la robustesse conditionne, en partie, la qualité démocratique du pays.



