mardi, décembre 2, 2025
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Quand la lutte contre la corruption devient un test d’État : lecture analytique des critiques de Khalid Sati à l’égard du gouvernement

L’intervention du conseiller parlementaire Khalid Sati, lors de la discussion générale du projet de loi de finances 2026, n’a pas sonné comme un simple avis politique. Elle a pris la forme d’un diagnostic frontal, posant une question qui traverse silencieusement le débat public marocain :
que reste-t-il de la volonté de l’État de combattre la corruption et de préserver les mécanismes de la reddition des comptes ?

1. La corruption comme symptôme structurel, non comme incident isolé

Pour Sati, les “manifestations continues du clientélisme et du rentierisme” ne constituent plus des anomalies dans le fonctionnement institutionnel, mais un phénomène systémique évalué en milliards de dirhams selon plusieurs rapports officiels.

En soulignant que la baisse du Maroc dans l’Indice de perception de la corruption n’est plus “une surprise”, il laisse entendre que l’opinion publique s’est habituée à ces reculs, comme si les attentes se déplaçaient vers le bas.
Cette normalisation du déclin pose une question lourde : le pays risque-t-il de s’installer durablement dans une culture de résignation ?

2. Un recul dans l’arsenal anti-corruption ?

Au cœur des critiques du conseiller figure une idée forte : dès son installation, le gouvernement aurait adopté des signaux interprétés comme un pas en arrière :

  • retrait du projet de réforme du Code pénal incluant la pénalisation de l’enrichissement illicite ;

  • gel de la stratégie nationale de lutte contre la corruption ;

  • inactivité prolongée de la commission nationale dédiée à ce chantier.

Pris séparément, ces éléments peuvent sembler techniques. Mais dans leur cumul, ils donnent l’impression d’une rupture dans la continuité réformatrice engagée depuis plus d’une décennie.
D’où la question fondamentale : s’agit-il d’une simple révision méthodologique… ou d’un renoncement politique implicite ?

3. La responsabilité qui ne mène plus à la reddition des comptes

Sati remet également en cause l’effectivité du principe constitutionnel “responsabilité = reddition des comptes”.
Selon lui, tant que les institutions élues ne disposent pas de leur pleine capacité d’action, l’édifice démocratique demeure fragile.

Depuis la Constitution de 2011, l’ambition était claire :

  • renforcer le Parlement,

  • élargir les prérogatives des élus,

  • faire de l’alternance un mécanisme réel de contrôle.

Mais si la scène politique se déséquilibre en réduisant le poids des élus, le pays risque — toujours selon Sati — un “vide institutionnel” susceptible de perturber l’esprit même des réformes engagées.

4. Retraites, inflation, compensation… quand l’économie se heurte au social

En matière socio-économique, le conseiller critique une forme de décalage entre engagements et réalisations.
La réforme des retraites semble avoir perdu sa dynamique initiale.
Le dossier de la compensation avance à un rythme qui ne suit pas l’accélération infl ation niste, laquelle érode la classe moyenne, pourtant pilier de stabilité sociale.

Le point ici n’est pas la critique technique, mais le constat d’une fissure entre promesse gouvernementale et réalité sociale.

5. Marché du travail et protection sociale : un chantier qui s’enlise

Les observations de Sati sur l’insuffisance des moyens accordés à l’Inspection du travail illustrent un malaise plus profond :
le pays peine à mettre en cohérence les piliers de son modèle social.

Son idée d’une Autorité nationale d’inspection de la protection sociale, rassemblant inspecteurs du travail et inspecteurs du CNSS, traduit un besoin de rationalisation et de cohérence.
Ce n’est pas la création d’un nouvel organisme qui est en jeu, mais la capacité de l’État à assurer une gouvernance sociale lisible et efficace.

6. “Amo Tadamon” : un écart inquiétant entre ambition et mise en œuvre

Le chiffre avancé par Sati – 8,5 millions de Marocains sans couverture santé – constitue probablement l’un des points les plus sensibles de son intervention.
Car il pose un problème de crédibilité : comment un chantier social présenté comme historique peut-il laisser une telle proportion de citoyens à l’écart ?

Ce constat révèle une tension majeure entre :

  • l’ambition de généraliser la protection sociale,

  • la difficulté à en maîtriser les mécanismes d’accès, de ciblage et de financement.

Selon Sati, une révision d’urgence s’impose pour éviter que le dispositif ne perde sa raison d’être.

7. Au-delà des critiques : une interrogation sur la trajectoire institutionnelle

Il serait réducteur de lire l’intervention de Sati comme une simple attaque politique.
Ce qu’il formule, en filigrane, c’est une inquiétude institutionnelle :
tant que la gouvernance, la transparence et la reddition des comptes ne consolideront pas l’action publique, aucun projet économique ou social ne pourra pleinement réussir.

Le message implicite pourrait se résumer ainsi :

L’État ne peut pas avancer sur les rails de la réforme si la locomotive de la bonne gouvernance reste immobile.

Conclusion : le projet de loi de finances 2026, un miroir plus qu’un mécanisme

Le débat autour de la loi de finances aurait pu rester un exercice technique.
Mais les critiques de Sati l’ont transformé en une discussion de fond sur la direction politique du pays.

Elles mettent en lumière un défi central : réconcilier performance économique, justice sociale et exigence démocratique.

Car sans cette trilogie, les projections financières resteront des chiffres, non des politiques publiques capables de restaurer la confiance citoyenne.

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