mercredi, décembre 3, 2025
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La crise silencieuse du secteur de la santé : comment les promesses gouvernementales se sont transformées en étincelle de confrontation avec les syndicats ?

Tension entre le ministre de la Santé et les syndicats : quand les promesses deviennent source de crise… Analyse approfondie d’un secteur sous pression

Le secteur de la santé au Maroc traverse aujourd’hui une zone de turbulence qui dépasse largement le cadre d’un simple désaccord administratif. La décision récente du front syndical du secteur de boycotter toutes les réunions avec le ministère de la Santé et de la Protection sociale, tant qu’un calendrier précis de validation des décrets convenus lors de l’accord du 23 juillet 2024 n’est pas fixé, marque un tournant dans la relation institutionnelle entre les deux parties.

Cette posture syndicale est l’expression d’un malaise profond : une crise de confiance, nourrie par l’écart grandissant entre les engagements officiels et leur concrétisation sur le terrain. Pour comprendre cette situation, il ne suffit pas de relater les faits ; il faut les interpréter, les lire dans leur contexte et en saisir la portée politique, sociale et professionnelle.

Entre signature et mise en œuvre : un fossé qui s’élargit

Depuis la signature de l’accord de juillet 2024, plusieurs décrets essentiels demeurent en suspens, alors qu’ils étaient censés être validés dans des délais raisonnables. Il s’agit notamment :

  • du décret sur les indemnités de risque professionnel,

  • du décret sur la centralisation des postes budgétaires et des rémunérations,

  • du décret établissant le statut-type des professionnels de santé au sein des Groupements Sanitaires Territoriaux (GST),

  • du décret d’intégration des années valorisées pour les infirmiers et techniciens de santé,

  • et de plusieurs décrets liés aux programmes nationaux de santé.

Pour les professionnels, ces textes ne représentent pas des détails administratifs, mais la charpente juridique et professionnelle de leur avenir dans une réforme de grande envergure annoncée depuis plusieurs années.

Pourtant, malgré les engagements pris, rien de concret ne s’est matérialisé sur le terrain. Les promesses sont restées à l’état de texte. Et lorsque les attentes ne rencontrent pas d’évolution réelle, la tension s’installe.

Pourquoi les syndicats ont-ils choisi la rupture ?

Le boycott n’est pas un geste symbolique, mais une stratégie réfléchie, pensée comme un moyen de rééquilibrer une relation devenue asymétrique.

1. Réaffirmer le rapport de force

Les syndicats estiment que les réunions successives n’apportent plus rien : ni calendrier, ni décisions, ni avancées. En interrompant le dialogue, ils obligent le ministère à sortir de sa zone de confort.

2. Répondre à la pression des bases syndicales

Sur le terrain, les professionnels expriment un profond malaise. Les directions syndicales, pour conserver leur crédibilité, doivent montrer qu’elles défendent réellement les droits qu’elles portent depuis des années.

3. Envoyer un signal politique clair

Le secteur de la santé ne peut être géré avec lenteur ni flou. Le boycott est aussi une manière de rappeler que les professionnels ne sont pas de simples exécutants, mais les piliers d’une réforme nationale.

Pourquoi les décrets tardent-ils ? Éclairage sur des obstacles structurels et politiques

Au-delà du discours syndical, il existe des raisons objectives de ce retard, même si elles ne justifient pas l’ampleur de la lenteur.

1. Des procédures administratives lourdes

Chaque décret doit passer par un long circuit : rédaction, validation juridique, passage au ministère des Finances, étude d’impact budgétaire, puis adoption en Conseil de Gouvernement.
Un processus qui peut s’étendre sur plusieurs mois.

2. Une contrainte budgétaire réelle

Les indemnités, la revalorisation des carrières ou les mécanismes de centralisation ont un coût significatif. Dans un contexte de tensions sur les finances publiques, la prudence gouvernementale s’accentue.

3. Une réforme systémique en transformation

Le passage aux Groupements Sanitaires Territoriaux (GST), la refonte de la gouvernance, l’intégration progressive des métiers…
Le ministère doit veiller à ce que chaque décret s’inscrive dans la cohérence du futur modèle sanitaire.

4. Une prudence politique

Tout geste qui implique une hausse budgétaire peut être lu politiquement, parfois comme une décision électoraliste ou peu compatible avec les équilibres macroéconomiques. Résultat : hésitations, retards, révisions.

Une crise de confiance avant tout

Ce qui frappe dans cette séquence, c’est que la tension n’est pas seulement administrative :
elle est psychologique, symbolique, structurelle.

Les syndicats ne contestent plus le contenu des réformes, mais le rythme, la transparence et la volonté réelle de les appliquer.

Pour les professionnels, l’absence de résultats tangibles se traduit par :

  • une démotivation croissante,

  • une perte de confiance dans la parole publique,

  • un sentiment de décalage entre ambition nationale et réalité quotidienne,

  • et la crainte que la réforme ne soit qu’un chantier parmi d’autres, sans urgence ni visibilité.

Quels risques pour la réforme sanitaire ?

La réforme du système de santé repose sur deux piliers principaux :

1. La structuration institutionnelle

Déploiement des GST, redéfinition des missions, digitalisation, nouvelle gouvernance…

2. Le capital humain, pivot absolu du chantier

Aucune réforme ne peut réussir sans professionnels motivés, formés et reconnus.

Or, l’actuelle crise risque d’affaiblir ce second pilier, compromettant l’efficacité du premier.

Sans adhésion du personnel, un modèle institutionnel même parfait ne peut fonctionner.

Trois scénarios possibles

1. Le scénario de sortie maîtrisée

Le ministère dévoile un calendrier clair, adopte les premiers décrets, rétablit la confiance.
C’est le scénario le plus constructif — mais il exige une volonté politique ferme.

2. Le scénario d’enlisement

Les réunions reprennent, sans résultats concrets.
C’est la voie la plus dangereuse : elle maintient la tension et fragilise la réforme en profondeur.

3. Le scénario de confrontation

Si aucune avancée n’est réalisée, les syndicats pourraient engager des actions plus fortes :
grèves, sit-in, blocages sectoriels.
L’impact sur les services de santé serait immédiat.

Pour sortir de l’impasse : une méthode claire et faisable

Une sortie de crise crédible doit reposer sur :

  1. Un calendrier public et détaillé pour chaque décret, avec des échéances proches et réalistes.

  2. Une commission technique mixte (ministère – finances – syndicats) chargée du suivi quotidien.

  3. Une approche budgétaire progressive, si les contraintes financières sont réelles.

  4. Une communication transparente, qui explique, informe et rend compte des avancées.

Conclusion : un test pour l’État comme pour les syndicats

La tension entre le ministère de la Santé et les syndicats n’est pas une simple querelle sociale.
Elle interroge la capacité de l’État à traduire des engagements en actes, et celle des syndicats à défendre les intérêts de leurs membres sans fragiliser un secteur vital.

Le système de santé ne peut se permettre ni lenteur, ni ambiguïté, ni rupture.
Les prochaines semaines révéleront si cette crise n’était qu’un épisode passager…
ou le signe d’un dysfonctionnement plus profond dans la conduite des réformes publiques.

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