le pays au bord d’une remise en question collective
À un moment politique particulièrement tendu, près de quarante millions de Marocains tournent leur regard vers le discours du Roi prévu ce vendredi à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle session législative. Ce n’est pas un simple rituel constitutionnel : la rue, et plus particulièrement la jeunesse du « Génération Z », vit un état de tension et d’attente inédit, réclamant le départ du gouvernement Akhannouch qu’elle considère comme « dépourvu de légitimité sociale », après son incapacité à tenir ses promesses et la multiplication des échecs dans des secteurs stratégiques tels que la santé, l’éducation et l’emploi.
La déclaration du porte-parole du gouvernement, Mustafa Baytas, est venue complexifier davantage le tableau : entre l’annonce d’un « grand accomplissement » et l’affirmation d’avoir « saisi le message des manifestants », et face aux revendications d’une jeunesse en colère, l’analyse journalistique devient essentielle pour comprendre ce qui se cache entre les lignes et ce que les Marocains peuvent attendre d’un discours royal potentiellement décisif.
1. Le gouvernement parle en chiffres… le peuple répond en réalité
Baytas, visage médiatique du gouvernement, a tenté de présenter une image d’un exécutif engagé dans la réforme. Il a évoqué des chiffres précis : augmentation du salaire minimum dans le secteur privé à 4500 dirhams, hausse du salaire moyen dans le secteur public à 10 600 dirhams, et un coût du dialogue social qui atteindra 49 milliards de dirhams d’ici 2027. Il a également mentionné les réformes légales et la politique pénale, dans une tentative de souligner sérieux et continuité.
Cependant, derrière ces chiffres, se cache une grande paradoxe : la réalité sociale ne s’est pas améliorée au point de refléter ces annonces. L’inflation gruge le pouvoir d’achat, le chômage des jeunes dépasse 15 %, le système éducatif est en crise structurelle, et la confiance dans les institutions politiques s’érode.
Les déclarations de Baytas ressemblent à une tentative de « rassurer » politiquement, mais elles n’adressent pas les racines de la crise, surtout lorsqu’il affirme que « le gouvernement a saisi le message des manifestants », ce qui reconnaît implicitement la crise sans proposer de réponse concrète ou de révision de la stratégie gouvernementale.
2. « Nous avons saisi le message »… mais lequel exactement ?
Quand le porte-parole dit que le gouvernement « a saisi le message », la question s’impose : de quel message parle-t-on ? Est-ce celui de la rue exigeant le départ du gouvernement, ou un simple appel à des réformes cosmétiques qui ne remettent pas en cause les causes profondes du mécontentement ?
Le langage de Baytas reste ambigu et chargé de double sens. Il admet l’existence d’un « message de colère », mais le réinterprète comme une incitation à accélérer les projets en cours plutôt qu’à remettre en question la responsabilité gouvernementale.
La Génération Z, qui s’exprime à travers un activisme numérique et populaire étendu, ne demande pas seulement des réformes techniques : elle exige une responsabilité politique et morale. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas tenu ses promesses ? Pourquoi la pauvreté et le chômage augmentent-ils malgré les ressources substantielles dont dispose l’État ?
3. Baytas attribue aux jeunes la responsabilité du dialogue
Un passage marquant de la déclaration de Baytas est sa remarque : « Le dialogue nécessite deux parties, et tant que l’autre partie (les jeunes) n’est pas disponible… ».
Ici, le gouvernement déplace partiellement la responsabilité vers la jeunesse, comme pour dire : « Nous sommes prêts, mais vous êtes absents. »
Or, la Génération Z a perdu confiance dans les mécanismes traditionnels de dialogue, qui n’ont abouti à aucun résultat tangible dans des domaines cruciaux : emploi, logement, éducation et justice sociale. Ce discours gouvernemental révèle un manque de compréhension de la dynamique d’un jeune public qui évolue dans un espace numérique ouvert et exige des résultats rapides.
4. De « l’accélération des chantiers » au report des solutions
Lorsqu’il affirme que le gouvernement « s’attelle à accélérer les chantiers liés à la santé, à l’éducation et à l’emploi », cette phrase semble être un refrain répété depuis des décennies.
Mais que signifie réellement « accélérer » dans une période de tension sociale ? Suffira-t-il à calmer la colère populaire ou la rue attend-elle autre chose : une transformation du mode de gouvernance lui-même ?
Les grands chantiers, tels que « la réforme de l’éducation » et « la réforme de la santé », sont devenus des projets sans impact concret sur le quotidien. Ainsi, la promesse de « les accélérer » peut être perçue comme un aveu implicite de retard accumulé et d’une tentative de rattrapage face à une opinion publique qui a dépassé le gouvernement.
5. Chiffres et réalités sociales
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Chômage des jeunes : plus de 15 %, avec une concentration élevée des diplômés dans les villes.
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Inflation et coût de la vie : l’indice des prix à la consommation a augmenté de 6,8 % cette année, accentuant la pression sur les ménages à faibles revenus.
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Éducation : plus de 40 % des écoles nécessitent des travaux urgents, et l’infrastructure numérique reste insuffisante.
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Santé : plus de la moitié des hôpitaux publics manquent de personnel qualifié et d’équipements de base.
Ces chiffres soulignent l’écart entre le discours gouvernemental et la réalité vécue par la population, accentuant le sentiment d’exclusion de la Génération Z.
6. Du gouvernement au Palais… un moment charnière
La déclaration de Baytas, la veille du discours royal, apparaît comme un préambule destiné à « calibrer le ton ».
Les messages sont clairs : le gouvernement veut apparaître « à l’écoute », « prêt » et « responsable ».
Mais l’opinion publique attend le verdict du Palais : accordera-t-il une nouvelle chance au gouvernement ou choisira-t-il de réorganiser l’exécutif ?
Le discours royal de l’ouverture législative définit traditionnellement l’orientation politique des mois à venir et sert de test de performance pour le gouvernement.
7. Scénarios possibles pour le discours royal
Scénario réformiste urgent
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Le Roi pourrait appeler à une révision complète de la performance gouvernementale, à une responsabilisation politique claire et à une réorganisation des priorités de l’État vers l’éducation, la santé et l’emploi.
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Cela pourrait inclure le remplacement de certains ministres ou la nomination de technocrates à des postes stratégiques.
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Conséquence : un « demi-coup de balai » au sein de la majorité, apaisant partiellement la rue.
Scénario de pacification
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Accent sur « l’importance du dialogue national », appelant les jeunes à s’impliquer dans les projets en cours, sans mesures concrètes immédiates.
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Conséquence : perçu par certains comme un sursis pour le gouvernement, mais risqué si la rue interprète cela comme un désintérêt pour ses revendications.
Scénario surprise
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En cas de pression populaire accrue, annonce d’une réforme gouvernementale large ou implication de technocrates dans la gestion de secteurs clés, pour signaler que l’État écoute et réajuste sa boussole.
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Conséquence : réponse forte mais politiquement et administrativement complexe.
8. Derrière les mots… crise de confiance
Les déclarations de Baytas révèlent une crise profonde dans le lien entre gouvernement et société.
C’est un exécutif qui parle en indicateurs chiffrés dans un pays qui cherche une justice sociale tangible.
La Génération Z ne veut plus entendre parler de hausse salariale alors que le logement reste inaccessible, le chômage croît et l’éducation publique s’effondre.
Le fossé n’est plus seulement entre « gouvernement et peuple », mais entre deux cultures politiques :
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La culture de l’autorité qui mesure le succès à travers des indicateurs.
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La culture d’un jeune public qui évalue le succès en fonction de la dignité, de la justice et de la participation.
9. Questions ouvertes pour le débat
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Pourquoi la rue a-t-elle perdu autant confiance ? Promesses non tenues ? Corruption ? Mauvaise gestion ? Disparités régionales ?
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Le gouvernement actuel est-il capable de changement réel, ou le système le limite-t-il ?
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Quel pourcentage de jeunes réclame le départ du gouvernement versus ceux qui se contentent de réformes partielles ?
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Comment le discours royal s’articulera-t-il avec une feuille de route pratique : décrets, changements ministériels, nouvelles lois ?
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Le discours royal suffira-t-il à reconstruire la confiance entre État et société ?
Conclusion : entre Baytas et le Roi, la rue écrit son histoire
Le Maroc est aujourd’hui à un carrefour crucial.
La déclaration de Baytas traduit une tentative gouvernementale de reprendre l’initiative, mais le discours royal de vendredi constituera le véritable moment de vérité.
Restaurera-t-il la confiance entre l’État et la société, ou consacrera-t-il l’écart entre les « réalisations » officielles et la réalité vécue par la population ?
Ce qui se joue dépasse une simple crise gouvernementale : c’est un test du modèle de gouvernance face à une génération nouvelle qui refuse d’attendre.
« Entre le discours du gouvernement et celui du Roi… la rue commence à écrire son histoire de ses propres mains. »



