Personne ne s’attendait à ce que de simples appels diffusés sur TikTok ou Instagram, sous le hashtag « Génération Z 212 », se transforment en une vague de manifestations synchronisées dans plusieurs villes du Royaume. Loin d’un mouvement localisé comme celui du Rif ou de Jerada, cette nouvelle contestation s’affirme comme un phénomène national, horizontal, sans encadrement partisan ni syndical, mais avec une capacité de mobilisation numérique redoutable.
Très vite, le Parlement s’est trouvé contraint d’ouvrir le débat. La question centrale : s’agit-il d’une colère passagère ou de l’expression d’une crise de confiance profonde envers les institutions et les politiques publiques ?
Une opposition offensive : la question de la crédibilité
Pour Rashid Hamouni, président du groupe du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), il n’y a pas de doute : ces manifestations révèlent avant tout l’échec du gouvernement à tenir ses promesses. Dans l’hémicycle, il ne se contente pas de généralités. Ses interpellations sont directes : Pourquoi les décrets relatifs à la Haute Autorité de la Santé tardent-ils ? Au profit de qui ? Pourquoi tant de projets vitaux en matière de santé sont-ils bloqués alors que les médecins fuient vers le secteur privé ?
Derrière ces questions se profile un soupçon : celui d’un favoritisme implicite en faveur de l’intérêt privé, au détriment d’un chantier royal censé réformer en profondeur le système de santé.
Mais Hamouni va plus loin en évoquant le marché de l’emploi : Comment comprendre l’écart entre les chiffres inquiétants de Bank Al-Maghrib et le discours triomphaliste du gouvernement annonçant 600 000 postes créés ? Là se niche le cœur du problème : les jeunes ne croient plus aux chiffres officiels, mais à leurs expériences vécues – chômage, précarité, désillusion.
Pour l’opposition, la crise actuelle n’est pas seulement une crise de résultats, mais une crise de discours. Ce qui alimente la colère, c’est l’écart abyssal entre les grandes promesses et la réalité tangible.
La majorité tente l’équilibre : responsabilité collective ou fuite en avant ?
En face, la majorité parlementaire adopte une posture plus nuancée. A travers la voix de Allal Amraoui, président du groupe istiqlalien, elle admet que les manifestations sont un « message clair » envoyé à l’ensemble de la classe politique. Mais elle refuse de transformer ce message en réquisitoire contre le gouvernement seul.
Amraoui avertit : attribuer toute la responsabilité à l’Exécutif relèverait de « l’opportunisme politique ». Selon lui, la réponse doit être collective, institutionnelle, et le Parlement demeure « l’espace légitime » pour un dialogue responsable avec le ministre de la Santé convoqué devant la commission compétente.
Cette rhétorique traduit un double objectif : reconnaître l’existence d’un malaise social, tout en diluant la responsabilité. La majorité cherche à gagner du temps, éviter l’escalade et maintenir l’image d’une continuité institutionnelle.
Mais derrière cette posture, une question persiste : le Parlement est-il encore perçu par la jeunesse comme un espace crédible de médiation, ou bien comme une simple extension de l’Exécutif ?
De Jerada au numérique : le changement d’échelle
Certes, les gouvernements précédents avaient dû gérer des contestations sociales – Rif, Jerada – mais celles-ci restaient géographiquement limitées et portées par des réseaux militants traditionnels. La nouveauté avec « Génération Z 212 », c’est la dimension nationale et numérique.
Le défi devient alors inédit pour la classe politique : comment répondre à une mobilisation déterritorialisée, qui échappe aux modes de médiation classiques ? L’opposition peut en tirer parti à court terme, mais elle sait qu’elle ne contrôle pas ces foules connectées. Quant à la majorité, miser sur les canaux institutionnels traditionnels semble déjà décalé par rapport à la rapidité des dynamiques numériques.
Ce qui n’est pas dit
Sous les discours policés, des non-dits pèsent lourdement. Quand Hamouni dénonce le retard des réformes, il parle moins de procédures administratives que de l’incapacité de l’État à concrétiser ses engagements sociaux. Quand Amraoui plaide pour une responsabilité partagée, il défend implicitement l’idée que mettre le gouvernement au pied du mur mettrait en danger l’équilibre global du système.
Mais la vraie interrogation, rarement formulée ouvertement, reste la suivante :
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Pourquoi une génération entière choisit-elle la rue et les réseaux sociaux au lieu d’intégrer les partis ou syndicats ?
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Est-ce un signe d’échec structurel des médiations traditionnelles ou bien une mutation irréversible du champ politique ?
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Et surtout : que se passera-t-il si les réponses gouvernementales continuent de se réduire à des chiffres optimistes démentis par le quotidien des jeunes ?
Institutions vs. rue : un dialogue de sourds ?
La convocation du ministre de la Santé au Parlement peut apparaître comme une réaction « institutionnelle » à la colère populaire. Mais chacun sait que ces auditions débouchent souvent sur des exposés techniques, sans véritables suites concrètes.
Or, les jeunes de « Génération Z 212 » ne réclament plus des discours, mais des résultats tangibles. Pour eux, la crédibilité se mesure dans les hôpitaux, les écoles, et le marché du travail, pas dans les procès-verbaux des commissions parlementaires.
Conclusion : une jeunesse-miroir
« Génération Z 212 » n’est ni un parti ni un syndicat. C’est une alerte sociale, un miroir qui renvoie à l’État ses propres contradictions : promesses ambitieuses contre réalités décevantes. Son langage est différent – ironie, vidéos courtes, memes viraux – mais sa revendication est claire : plus de sincérité, plus de cohérence, plus d’avenir.
La question n’est plus de savoir ce que dira le ministre devant la commission, mais de savoir si l’État et sa classe politique ont la volonté réelle de reconnaître la profondeur de la crise et d’engager des réformes douloureuses mais nécessaires.
En attendant, la rue – physique et numérique – reste vigilante, prête à rappeler aux institutions que la confiance ne se décrète pas, elle se construit.