Dans un Maroc en pleine reconfiguration institutionnelle, deux projets de loi ont récemment retenu l’attention de l’opinion publique : le projet de loi sur l’exercice du droit de grève et le projet encadrant la captation d’images dans les tribunaux. Présentés comme des textes visant à « organiser » des droits existants, ces deux projets soulèvent pourtant des interrogations de fond : assistons-nous à une tentative d’encadrement raisonnable des libertés ou à une stratégie progressive de restriction et de contrôle ?
À travers cette analyse, nous proposons une lecture croisée de ces deux textes à la lumière du contexte politique actuel, dans une démarche de réflexion critique qui invite à penser les implications profondes de ces législations sur l’état des libertés publiques au Maroc.
Deux textes, une logique : encadrer, surveiller, contenir
Les deux projets se distinguent par leur champ d’application – l’un touche à un droit syndical fondamental, l’autre à la transparence des procès – mais ils partagent une même logique : la canalisation des expressions collectives et des contre-pouvoirs.
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Le droit de grève est reconnu par la Constitution de 2011, mais reste sans cadre légal depuis des décennies. Le nouveau projet, loin de renforcer ce droit, semble plutôt vouloir le conditionner, le rendre difficile à exercer, en multipliant les procédures, les préavis, et les possibilités d’interdiction administrative.
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La captation des audiences pose une question centrale : celle du rapport entre justice et opinion publique. Au lieu de partir du principe de publicité des débats, le projet fait prévaloir la préservation de l’image de la justice sur la liberté de la presse, introduisant des peines lourdes pour toute diffusion « non autorisée », sans clarifier qui juge du préjudice.https://www.youtube.com/watch?v=RBwpDbZ-QHc&t=330s
Une « pédagogie légale » à sens unique ?
Ces deux projets s’inscrivent dans une tendance politique plus large : celle d’un État soucieux de contrôler la narration publique, que ce soit dans la rue (via les syndicats) ou dans la salle d’audience (via les journalistes et les citoyens). Cela soulève une question : où s’arrête la régulation légitime et où commence la restriction injustifiée ?
L’État semble ici adopter une stratégie douce de domestication des contre-pouvoirs. Le langage de la loi se veut neutre, technique, mais ses effets pourraient être profondément politiques : affaiblir les espaces d’expression collective au nom de la stabilité ou de la dignité institutionnelle.
Quelle place pour l’opinion publique ?
L’absence de large débat national autour de ces textes – notamment avec les syndicats pour la grève, et avec les journalistes ou ONG pour la captation d’images – affaiblit leur légitimité démocratique. Il est urgent d’ouvrir ces projets à la concertation réelle, dans l’esprit de la Constitution de 2011 qui garantit la participation citoyenne à l’élaboration des politiques publiques.
Conclusion : un moment décisif
Ces deux lois en apparence techniques ne doivent pas être examinées isolément. Elles participent d’un même tournant où l’on cherche à redéfinir les rapports entre pouvoir, société civile et institutions. Le risque n’est pas tant juridique que politique : celui de transformer le principe d’État de droit en un instrument d’ordre sans débat.
L’opinion publique marocaine a le droit – et le devoir – d’interroger le sens et les conséquences de ces projets. Car derrière les termes juridiques se joue l’équilibre même entre autorité et liberté dans la société marocaine de demain.