Analyse des dessous de la révocation de la directrice de l’ANAPEC et du contexte institutionnel de la crise du chômage au Maroc
Dans une démarche controversée aux multiples implications, le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences a fuité la nouvelle de la révocation d’Imane Belmaati, directrice générale de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC), avant même que les procédures légales soient achevées. Ce geste — interprété par plusieurs sources professionnelles — traduit un glissement d’une « évaluation institutionnelle » vers une forme de « liquidation politique » au sein d’un secteur crucial souffrant depuis des années d’un déficit de vision et de cohérence entre les acteurs publics.
D’une nomination confiante à une révocation accusatoire : contre-performance ou conflit personnel ?
Ironie du sort : c’est le ministre Younes Sekkouri lui-même qui avait proposé la nomination de Belmaati à la tête de l’ANAPEC en 2024, après avoir travaillé avec elle dans son cabinet ministériel où elle était en charge des très petites entreprises et de l’auto-entrepreneuriat. Cette volte-face interroge : s’agit-il réellement d’une évaluation objective de ses performances, ou plutôt d’un conflit interne révélé par l’aggravation des indicateurs d’échec des politiques de l’emploi ?
Si le ministre a justifié la décision par « un bilan insuffisant », le même argument avait été avancé lors de la révocation de ses deux prédécesseurs : Mohamed Aachiq en 2022 et Noureddine Ben Khalil en 2023. Cela suggère que l’ANAPEC est en proie à une instabilité administrative chronique, révélant une crise de gouvernance plus qu’un problème d’individus.
Trois révocations en trois ans : l’ANAPEC, victime collatérale ?
Trois limogeages consécutifs en moins de quatre ans : un fait inédit dans l’histoire de l’ANAPEC. Ce constat appelle à dépasser l’analyse des profils des dirigeants révoqués pour interroger la structure de l’agence, sa relation avec son ministère de tutelle et le type de politiques publiques qu’on lui impose.
L’ANAPEC bénéficie-t-elle réellement d’une autonomie stratégique lui permettant de répondre aux besoins du marché du travail ? Ou est-elle devenue une simple courroie d’exécution politique, tenue responsable d’un échec planifié ailleurs ?
Des rapports officiels — du Conseil supérieur de l’éducation, de la Banque mondiale ou de l’OIT — alertent depuis des années sur le fossé entre la formation des jeunes et les exigences du marché, ainsi que sur l’absence de convergence entre les politiques d’éducation, de formation professionnelle et d’emploi. Dans ce contexte, peut-on espérer que n’importe quelle direction, aussi compétente soit-elle, réussisse à changer la donne ?
Quand les chiffres parlent : les promesses de l’exécutif démenties ?
En décembre 2024, le Haut-Commissariat au Plan a publié des chiffres alarmants :
- Un taux de chômage de 21,3 %, le plus élevé depuis des décennies ;
- Plus de 1,63 million de chômeurs ;
- Les diplômés et les jeunes urbains parmi les plus touchés ;
- Plus de 70 % des emplois créés sont précaires et instables.
Ces données contredisent frontalement le programme gouvernemental qui promettait la création d’un million d’emplois. On assiste à une rupture manifeste entre les discours politiques et les résultats concrets sur le terrain.
Une crise de politique publique ou de gouvernance ?
À la lumière de ces chiffres, il serait injuste de faire de Belmaati ou de ses prédécesseurs des boucs émissaires. Le véritable problème réside dans l’architecture de la prise de décision publique.
Le Maroc dispose-t-il d’une stratégie nationale d’emploi intégrée ? Existe-t-il une coordination réelle entre les ministères de l’Emploi, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’Investissement ? Des évaluations indépendantes des programmes tels que « Awrach » ou « Forsa » sont-elles menées ?
Ces questions sont largement absentes du discours officiel, alors qu’elles sont fondamentales à toute réforme sérieuse.
Le contexte international n’est pas une excuse suffisante
Il est vrai que la pandémie, les ruptures des chaînes d’approvisionnement, la guerre en Ukraine et le ralentissement de l’économie européenne ont affecté les marchés de l’emploi. Mais le Maroc n’est pas une exception.
Des pays comparables comme la Tunisie, le Sénégal ou l’Égypte ont lancé des politiques d’emploi novatrices : micro-financement, économie verte, digitalisation, soutien à l’emploi local. Pourquoi le Maroc n’a-t-il pas suivi cette dynamique ?
Cela révèle-t-il une crise d’innovation dans les politiques publiques, plutôt qu’un simple déficit de compétence des responsables ?
Conclusion analytique
La fuite du limogeage d’Imane Belmaati n’est pas un « fait administratif » banal. C’est un symptôme d’un blocage plus profond dans les politiques de l’emploi. Un choix qui semble privilégier la recherche de coupables à la remise en question stratégique.
La question désormais est la suivante : Va-t-on continuer sur cette voie faite de décisions précipitées et de substitutions de visages ? Ou le Maroc saura-t-il entamer une réforme de fond, où les institutions comme l’ANAPEC seront véritablement renforcées pour répondre aux défis du chômage structurel ?
Car, en fin de compte, le problème est bien plus grand que n’importe quel nom.