samedi, juin 21, 2025
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Quand le public décroche : la crise du cinéma marocain entre vide de sens et perte de repères

Dans une analyse lucide et percutante, Monir Lakmani, écrivain établi en Allemagne, tire la sonnette d’alarme : le public marocain se détourne de plus en plus des productions télévisuelles et cinématographiques nationales. Pas par manque d’intérêt pour l’art, mais parce qu’il ne s’y reconnaît plus.

Alors que les œuvres se multiplient en quantité, leur qualité décline au point de susciter un malaise collectif. Faut-il voir dans ce rejet silencieux une forme de résistance culturelle ? Une perte de confiance ? Ou une rupture profonde entre l’art et son environnement social ?

Une industrie en expansion… mais un art qui s’égare

Pour Lakmani, le diagnostic est sans appel : la majorité des œuvres marocaines actuelles échouent à raconter l’histoire réelle des Marocains. Elles ne représentent ni l’âme des quartiers populaires, ni les luttes de la classe moyenne, ni les valeurs de la famille marocaine.

Les personnages sont devenus caricaturaux, sans profondeur, ni enracinement. La figure du père est soit absente soit violente, la femme réduite à son corps, l’homme présenté comme un être cupide ou idiot, et la jeune fille jamais comme une intellectuelle ou une actrice de changement.

Le double effondrement : sens et pudeur

Selon l’auteur, la crise actuelle repose sur deux piliers destructeurs :

  1. L’absence de vision créative :
    L’œuvre artistique, à l’origine, porte un message, une valeur, une interrogation. Aujourd’hui, on produit pour remplir les grilles horaires, pas pour transmettre du sens. Les dialogues sont creux, les intrigues décousues, les chocs dramatiques artificiels. Le vide règne.

  2. La banalisation du contenu sexuellement suggestif :
    Des scènes intimes sont introduites sans justification narrative, des dialogues vulgaires sont normalisés, et le seuil de la pudeur collective est délibérément franchi. La caméra devient voyeuriste, les scénaristes jouent avec les tabous, et le spectateur marocain – dans son foyer familial – se retrouve face à une violence symbolique sur ses propres valeurs.

Une rupture avec la réalité marocaine

Lakmani souligne que les artistes ne vivent plus dans le “vrai” Maroc. Beaucoup d’entre eux produisent selon les standards des plateformes globales, imitant Netflix ou d’autres modèles occidentaux, sans adaptation culturelle ni recul critique.

Le problème n’est pas la mondialisation en soi, mais la copie mal digérée. Au lieu de produire des récits enracinés dans notre patrimoine, on importe des formats, des langages et des visions du monde qui dénaturent notre propre identité.

Les racines structurelles de la crise

Laani identifie trois causes profondes :

  • Le manque de formation professionnelle et intellectuelle :
    Il n’existe pas, selon lui, de réelle école du scénario, de la mise en scène ou de l’interprétation. L’apprentissage est anarchique, et l’autodidactisme remplace la rigueur.

  • Un système de subvention déconnecté de la qualité :
    L’argent public finance des œuvres médiocres, sans critères clairs de mérite artistique ou d’impact culturel. Les circuits du soutien favorisent le copinage au détriment de la créativité.

  • L’absence de vision nationale claire :
    Le Maroc ne s’est pas encore posé la question essentielle : Quel art voulons-nous ? Pour quoi faire ? Pour éduquer ? Pour vendre ? Pour représenter notre mémoire ? L’ambiguïté actuelle favorise l’éparpillement et le nivellement par le bas.

Pistes de réforme proposées par l’auteur

Lakmani ne se contente pas de critiquer, il propose des alternatives :

  • Adopter une charte nationale de l’art visuel, qui respecte les sensibilités culturelles, valorise la famille, et relie création et identité.

  • Lier les subventions publiques à l’exigence de qualité artistique et narrative, pas à la notoriété ou au carnet d’adresses.

  • Créer de vraies écoles supérieures d’art dramatique, de cinéma et d’écriture, avec des enseignants issus du monde intellectuel et artistique réel.

  • Ouvrir des espaces de débat critique, via des émissions, revues ou clubs culturels qui interrogent les œuvres et les replacent dans une réflexion collective.

  • S’inspirer de la mémoire populaire marocaine, en mettant en scène les récits des campagnes, des montagnes, des résistants, des figures oubliées.

En conclusion : l’art comme enjeu de civilisation

L’article de Monir Lakmani rappelle que l’art n’est pas un luxe, mais une fonction vitale dans la construction de la mémoire collective, du goût public et de l’identité nationale.
Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas seulement une défaillance industrielle, mais une crise de conscience culturelle.

Si l’on veut réconcilier le public avec son art, il faut oser reconstruire une création marocaine digne, authentique et porteuse de sens. Un art qui élève au lieu de distraire, qui questionne au lieu de flatter, et surtout… un art qui ressemble aux Marocains.

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