La réunion de la Commission de l’Intérieur à la Chambre des représentants, jeudi dernier, n’était pas un simple débat technique. C’était un moment chargé de tension politique, révélateur de ce qui se joue au-delà des simples amendements législatifs. Face à face : le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, et le député du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Abdessamad Hayker. Entre eux, une loi organique ; mais en filigrane, une lutte plus profonde… une bataille sur qui détient le discours de la “protection de la démocratie” ?
Un article petit… mais “le cœur du débat”
La controverse semble technique : l’article 6 de la loi organique relative à la Chambre des représentants.
Mais pour le ministre, c’est le cœur du projet.
Il touche directement aux conditions d’éligibilité, visant principalement les candidats en état de flagrance pour des infractions liées aux élections ou pour des affaires pénales en cours.
Laftit a été clair et direct :
“L’objectif est de protéger le processus électoral… et l’image de la Chambre des représentants.”
Dans une phrase condensée mais évocatrice, il a ajouté :
“Vous vivez avec nous la situation de certains députés… certains présents ici, d’autres en attente de jugement, et d’autres encore non condamnés.”
Une allusion transparente à une réalité connue : le Parlement abrite des élus dont les dossiers judiciaires sont encore pendants.

Le PJD… entre discours et positions en commission
Ce qui a frappé le ministre, c’est le contraste flagrant entre la posture publique du PJD — se présentant comme le gardien de la probité électorale — et les amendements proposés au sein du Parlement, visant à assouplir les conditions d’éligibilité.
Il l’a exprimé sans détour :
“Ce qui m’inquiète, c’est que votre parti, qui appelle d’habitude à la protection, vient aujourd’hui prouver le contraire.”
Un message clair et politique : la crainte que certaines modifications ouvrent la porte à des candidats “suspects” avant l’issue définitive de leurs affaires.
Entre présomption d’innocence et image institutionnelle
Le débat central est autant juridique qu’éthique :
Faut-il considérer un candidat en état de flagrance comme inéligible ?
Ou attendre un jugement définitif, parfois retardé de plusieurs années ?
■ PJD : insiste sur le respect de la présomption d’innocence et sur l’indépendance de la justice, considérant toute sanction électorale avant jugement final comme une atteinte aux droits fondamentaux.
■ Ministère de l’Intérieur : argue que le processus électoral ne peut attendre, et que la “gelée” de la situation des suspects est nécessaire pour protéger l’intégrité des institutions, notamment dans les affaires de corruption et d’achat de votes.
En réalité, ce débat n’est pas nouveau : il revient à chaque législature, entre la logique du droit froid et celle du réalisme politique brûlant.
Laftit : “La loi actuelle est suffisante”
Lorsqu’il déclare :“Si nous continuons dans cette direction, il vaut mieux appliquer la loi actuelle… elle remplit l’objectif.” Il signifie que les amendements du ministère visent à renforcer la législation existante, non pour créer de nouvelles sanctions, mais pour fermer des échappatoires.
En clair : la loi actuelle laisse passer des candidats dans une zone “grise”. Laftit veut les déplacer vers le blanc ou le noir.
Contexte politique et ombres de 2026
Ce débat ne se comprend pas hors du contexte politique : avec les élections à l’horizon, le ministère veut garantir un minimum de pureté politique.
Le PJD, quant à lui, craint que ces restrictions ne touchent une partie de sa base ou certains opposants politiques.
Ce n’est donc pas qu’un simple article :
c’est une confrontation anticipée sur les règles du jeu politique pour les années à venir.
L’équation complexe : protéger la démocratie ou restreindre les droits ?
La question demeure :
Le durcissement des conditions d’éligibilité protège-t-il réellement la démocratie ?
Ou est-ce un glissement vers une “tutelle” du champ politique au nom de la probité ?
Il n’y a pas de réponse simple.
Mais ce qui est sûr : ces discussions révèlent que le Maroc est en train de redéfinir la relation entre légitimité juridique et légitimité morale, un combat qui se poursuivra jusqu’aux urnes.
Conclusion : un débat qui reflète la crise de confiance
Derrière les amendements, il y a un problème plus large :
une crise de confiance entre les citoyens et la classe politique.
La question, non posée dans la commission mais omniprésente en dehors, reste :
Ces amendements suffiront-ils à restaurer la confiance des Marocains ?
Ou le problème est-il plus profond que l’article 6 et dépasse les simples affaires de flagrance ou de jugement définitif ?



