mardi, décembre 2, 2025
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Conflit d’intérêts : quand l’exception devient norme — lecture critique des révélations de Bouanou

La conférence de presse donnée par Abdellah Bouanou dépasse largement le registre de la simple dénonciation ponctuelle : elle dessine les contours d’un problème systémique — la porosité grandissante entre les intérêts privés et l’exercice du pouvoir.

Une pièce documentaire qui oblige à regarder au-delà des apparences

Bouanou a présenté ce qu’il qualifie de « procès-verbaux officiels » où apparaît, selon lui, la signature du ministre Mohamed Saad Berrada lors d’un conseil d’administration de la société Pharmaprom en juin 2025, puis un autre procès-verbal de septembre de la même année indiquant que le ministre « s’est excusé ». Cette alternance — présence officielle puis « absence excusée » — est l’élément central sur lequel s’appuie l’accusation.

Lecture politique : le geste documentaire comme symptôme

Sur le plan formel, la présence d’un nom dans un PV reste une preuve administrative. Sur le plan politique, elle agit comme un révélateur : lorsqu’un responsable public apparaît lié, même indirectement, à une entreprise bénéficiant de marchés publics dans un secteur sensible (ici, la santé), la confiance publique vacille. C’est précisément cette translation — du fait administratif au problème de légitimité — que Bouanou met en scène.

Le nœud financier : contrats, montants et questions de transparence

La mise en relation des fonctions du ministre et du succès commercial de Pharmaprom n’est pas présentée comme une simple corrélation fortuite. Selon les éléments avancés par Bouanou, la société aurait remporté des marchés significatifs avec le ministère de la Santé (ordres de grandeur cités par le député : environ 32 millions de dirhams pour certains contrats, et entre 7 et 50 millions avec des centres hospitaliers universitaires), chiffres qui justifient, à ses yeux, l’ouverture d’une enquête approfondie. Ces montants, s’ils se confirment, posent la question des garanties d’impartialité dans l’attribution des marchés.

Au-delà du cas : une culture administrative en question

Bouanou ne se contente pas de pointer un individu ; il encadre l’affaire dans une série d’exemples qu’il présente comme symptômes d’une tendance lourde : retrait de lois contre l’enrichissement illicite, tolérance face à des occupations du domaine public, assouplissements législatifs controversés dans plusieurs secteurs. Sa rhétorique vise à montrer que l’affaire Pharmaprom pourrait être un symptôme plutôt qu’une anomalie isolée. Ce cadrage transforme le dossier en une question de « mode de gouvernance » plus que d’éthique personnelle. Lebrief+1

Ce que la mécanique juridique laisse de côté

Il faut distinguer deux registres : l’un juridique — où la preuve d’une infraction nécessite des éléments procéduraux précis —, l’autre politique — où l’apparence et la répétition des faits suffisent à éroder la légitimité. Bouanou réclame une « enquête urgente et exhaustive » non seulement pour établir d’éventuelles responsabilités pénales ou administratives, mais aussi pour restaurer une confiance institutionnelle devenue vacillante. Les enquêtes parlementaires ou judiciaires devront trancher sur la matérialité des liens et sur l’éventuelle violation des règles relatives au devoir de séparation entre fonctions publiques et intérêts privés. private-admin.medias24.com+1

Quelques questions heuristiques pour lire la suite

  • La présence d’un nom sur un procès-verbal suffit-elle à démontrer une influence effective sur les décisions d’achat ?

  • Jusqu’à quel point les mécanismes actuels de contrôle (marchés publics, comité d’éthique, déclarations patrimoniales) sont-ils capables de prévenir ces conflits ?

  • La répétition de cas similaires signale-t-elle un défaut de cadre légal, une défaillance d’application, ou une culture administrative permissive ?

Ces questions dépassent le cas individuel ; elles appellent des réformes structurelles si l’on veut éviter que le soupçon ne s’installe comme mode de gouvernance.

Conclusion analytique — de la transparence comme remède politique

Qu’on conclue ultérieurement à une faute ou qu’on disculpe les personnes mises en cause, l’enjeu demeure politique et institutionnel : la capacité de l’État à garantir que l’intérêt public prime sur les intérêts privés. Les documents présentés par Bouanou, et la réaction qu’ils suscitent, montrent à quel point l’apparence de conflit peut suffire à mettre en crise la confiance. La réponse légitime et civilisée à cette crise devrait être procédurale (enquêtes indépendantes, transparence sur les marchés) et normative (renforcement des règles de prévention des conflits d’intérêts), car la simple rhétorique partisane ne saurait, à elle seule, réparer le déficit de crédibilité.

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