Dans un moment délicat pour les médias marocains, une simple question parlementaire est venue réveiller un débat que l’on repoussait depuis longtemps : qui surveille les instances censées garantir la transparence dans le secteur de la presse ? La députée Fatima-Zahra Tamni, élue de la Fédération de la Gauche Démocratique, a choisi de mettre en lumière une dérive inquiétante : des enregistrements audio et des vidéos attribués à des membres de la commission provisoire chargée de la gestion du secteur de la presse et de l’édition. Selon elle, le contenu de ces fuites constitue un « scandale éthique inédit » qui ébranle la confiance dans les institutions.
Des fuites qui bousculent l’image de la commission… et révèlent une crise structurelle
L’impact de ces enregistrements ne tient pas uniquement à la dureté des propos qui y circulent.
Le plus préoccupant – comme le souligne la question parlementaire – réside dans les allusions à un usage d’influence pour peser sur la justice, et dans l’implication supposée de la Présidence du Ministère public dans des rivalités professionnelles qui n’auraient jamais dû quitter le cadre strict des règles déontologiques.
Au-delà des faits, ces enregistrements semblent dévoiler une philosophie de gestion : une logique de « classement et d’exclusion » plutôt qu’une logique d’« organisation et de régulation », une utilisation potentielle du soutien public comme instrument de contrôle plutôt que comme outil de développement du pluralisme médiatique.
Tamni… une voix politique qui rompt avec le silence
Le message de la députée dépasse la simple dénonciation. Il traduit une prise de conscience politique tardive mais nécessaire : on ne peut laisser un secteur aussi vital entre les mains d’instances fragiles moralement ou professionnellement.
À travers sa question, la députée semble dire que la crise ne se limite pas aux enregistrements ; elle révèle une faillite dans la manière même d’imaginer la gouvernance du secteur médiatique, un secteur qui touche au cœur de la démocratie.
Toute défaillance dans les institutions de régulation se répercute directement sur la qualité de l’information, la liberté du journaliste et la confiance du citoyen.
Le ministère de Ben Saïd dans la tourmente
La question parlementaire place le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Ben Saïd, face à une responsabilité politique directe.
La commission provisoire relève de son département, ce qui signifie que toute dérive – si elle est avérée – entache le ministère avant d’entacher la commission elle-même.
La députée réclame donc :
-
une enquête urgente, neutre et approfondie,
-
des sanctions administratives et légales contre toute personne impliquée dans des pratiques abusives,
-
et la mise en place de mécanismes de protection pour les journalistes et les professionnels, afin qu’ils ne deviennent pas les cibles de représailles déguisées en “régulation”.
La question fondamentale : qui protège la liberté de la presse… contre ceux censés la protéger ?
Ce que révèle réellement cette affaire, c’est que le Maroc se trouve à un carrefour :
peut-on continuer à gérer un secteur aussi sensible avec des outils improvisés, des structures provisoires et des logiques opaques ?
L’indépendance journalistique ne peut prospérer dans un environnement où les instances de régulation elles-mêmes semblent exposées à des logiques d’influence, de pouvoir ou de règlement de comptes.
Une crise de confiance… et peut-être une opportunité pour rebâtir
Le secteur médiatique marocain vit aujourd’hui dans une tension permanente :d’un côté, un besoin pressant d’une presse forte, professionnelle, capable de servir l’intérêt général ; de l’autre, des instances de contrôle qui ne sont pas toujours protégées des dérives internes.
Le scandale des enregistrements – quelle que soit l’issue judiciaire – offre une occasion rare : repenser en profondeur le modèle de gouvernance du secteur. Une commission provisoire ne peut être un substitut permanent à une autorité indépendante, institutionnalisée, transparente et redevable.
L’avenir de la presse marocaine dépend moins des discours que de la capacité à instaurer des mécanismes de gouvernance solides, protégeant le journaliste plutôt que de le surveiller.



