Dans un document officiel portant le logo « Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie – Gouvernement kabyle en exil », Ferhat Mehenni, président du mouvement, a adressé une invitation à plusieurs personnalités politiques, culturelles et diplomatiques pour assister à la « cérémonie de proclamation de l’indépendance de la Kabylie », prévue le dimanche 14 décembre 2025 dans la capitale française, Paris.
Le rêve de l’État des Kabyles entre droit et politique : depuis Paris, une nouvelle page s’écrit dans le combat pour l’autodétermination
“卡比尔国家梦想:法律与政治之间——从巴黎书写自治斗争的新篇章” pic.twitter.com/Ub3tlRx5TS
— Diplomatique.ma الدبلوماسية (@diplomatique_ma) November 12, 2025
Une démarche symbolique, mais qui soulève plus d’une question : sommes-nous face à la naissance d’une nouvelle entité politique en exil ? Ou bien à un nouveau chapitre du conflit politique entre l’Algérie et ses mouvements d’opposition ?
Entre ambition nationale et réalité géopolitique
La déclaration émise par le mouvement utilise le langage du droit international et s’appuie sur la résolution 1514 de l’ONU relative à l’indépendance des peuples colonisés, dans une tentative claire de légitimer la revendication d’« indépendance ».
L’invitation précise : « Cet événement historique restitue au peuple kabyle son droit inaliénable à l’autodétermination face au pouvoir algérien qui refuse d’ouvrir le dialogue. »
Du point de vue du discours, le MAK – mouvement classé par l’Algérie depuis 2021 comme organisation terroriste – ne cache pas son intention de remettre la question kabyle sur le devant de la scène en tant que cause de « libération nationale ». Cependant, il se heurte à une réalité juridique et politique complexe, car la communauté internationale ne reconnaît pas la région de la Kabylie comme une entité colonisée, mais comme partie intégrante de l’État algérien reconnu internationalement depuis 1962.
Paris… une plateforme symbolique pour l’annonce
Le choix de la capitale française pour lancer cette « proclamation historique » n’est pas fortuit. La France et la région de la Kabylie partagent des liens historiques et culturels remontant à la période coloniale, lorsque l’élite kabyle était largement francophone et intégrée au tissu culturel français.
Aujourd’hui, plus de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, Paris semble retrouver son rôle de scène symbolique où s’expriment les revendications identitaires et d’appartenance.
Un chercheur français spécialiste de l’Afrique du Nord explique :
« Pour Ferhat Mehenni, Paris n’est pas seulement un lieu, mais une mémoire. C’est l’espace où un mouvement comme le MAK peut s’exprimer librement et rencontrer ceux qui l’écoutent sans craindre la répression. »
Mais cet espace de liberté place la France dans une position délicate. L’Algérie considère toute activité séparatiste contre son intégrité territoriale comme une « menace directe à la sécurité nationale » et a, à plusieurs reprises, exprimé son rejet de ce qu’elle appelle « la complicité silencieuse de la France ».
Entre droit international et principe de l’intangibilité des frontières
Dans son discours, Mehenni s’appuie sur la Charte des Nations Unies et les résolutions de l’Assemblée générale concernant le droit des peuples à l’autodétermination. En réalité, ce principe fait l’objet de deux interprétations opposées :
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La première le lie aux mouvements de libération contre la colonisation étrangère, comme ce fut le cas pour les colonies africaines dans les années 1950-1960.
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La seconde, adoptée par la majorité des pays africains, exclut son application aux mouvements séparatistes à l’intérieur d’États indépendants, afin de préserver le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Un expert en droit international de l’Université d’Alger souligne :
« Il n’est pas légalement possible de considérer les Kabyles comme un peuple colonisé ou sous occupation. Par conséquent, les conditions pour exercer le droit à l’autodétermination externe, c’est-à-dire la sécession complète, ne s’appliquent pas. On peut seulement parler d’autodétermination interne, c’est-à-dire d’une large autonomie au sein de l’État. »
Dans ce sens, la « proclamation d’indépendance » évoquée par le mouvement reste un acte politique symbolique sans effet juridique, mais avec un fort impact médiatique, notamment dans un contexte de tension politique entre l’Algérie et l’Union européenne.
Algérie : posture de fermeté et avertissement
Depuis l’inscription du MAK sur la liste des organisations terroristes, l’Algérie a adopté une politique sécuritaire stricte contre toute activité liée au mouvement.
Des sources sécuritaires algériennes ont affirmé que « le mouvement est dirigé depuis l’étranger avec le soutien de réseaux de renseignement cherchant à déstabiliser le pays ». Bien que ces accusations n’aient pas été prouvées juridiquement, le discours officiel algérien ne laisse aucune ambiguïté : l’État considère la question comme une ligne rouge infranchissable.
Dans ce contexte, l’organisation d’une cérémonie à Paris pour annoncer l’« indépendance de la Kabylie » devrait susciter de vives réactions diplomatiques, voire la convocation de l’ambassadeur de France à Alger pour des éclaircissements. Pour les décideurs algériens, il ne s’agit pas d’une simple activité culturelle mais d’une « provocation politique ».
L’Europe entre principe et intérêt
L’annonce kabyle coïncide avec un large débat européen sur les relations de l’Union européenne avec ses voisins du Sud.
Quelques jours seulement après l’élargissement du programme Erasmus+ à l’Algérie, des voix de la droite conservatrice en France, comme le député européen François-Xavier Bellamy, ont critiqué « la complaisance de l’Europe envers des régimes qui ne respectent pas les libertés fondamentales », faisant référence à l’arrestation d’intellectuels et de journalistes algériens.
Ces initiatives simultanées – élargissement de la coopération académique d’un côté, proclamation de « l’indépendance kabyle » de l’autre – placent l’Europe devant un dilemme éthique : comment concilier son soutien officiel à l’unité de l’Algérie et l’inclination de certaines de ses tendances politiques à accueillir des mouvements opposés au régime ?
Entre rêve et réalité
Dans son discours adressé aux invités, Ferhat Mehenni veille à employer un langage calme, dépourvu d’incitation à la violence, mais insiste sur le fait que « le combat du peuple kabyle est pacifique et juste », appelant la communauté internationale à soutenir « son droit à l’autodétermination ».
Bien que ce discours trouve un écho auprès de certaines petites organisations de défense des droits en Europe, il ne bénéficie d’aucun soutien officiel clair des gouvernements occidentaux ni des Nations Unies.
Selon des analystes, le MAK mise davantage sur la médiatisation internationale que sur une reconnaissance effective : chaque couverture journalistique ou déclaration de solidarité constitue un gain dans la bataille de l’image et de la légitimité symbolique.
Quelle direction pour la cause ?
La question essentielle aujourd’hui : cette annonce prépare-t-elle une nouvelle phase d’escalade, ou n’est-elle qu’une nouvelle carte de pression dans le jeu des équilibres régionaux ? Il est certain que l’événement, même symbolique, reflète la profonde tension au sein du paysage algérien entre le centre et les marges, entre le discours étatique unique et les revendications des identités culturelles multiples.
Il ouvre également la porte à un débat plus large sur la gestion de la diversité dans la région maghrébine, qui continue de traiter les questions ethniques et linguistiques selon une logique sécuritaire plutôt que culturelle ou démocratique.
Conclusion : rêve différé ou début d’un parcours ?
En fin de compte, la « proclamation d’indépendance de la Kabylie » telle que la conçoit Ferhat Mehenni n’est rien d’autre qu’un cri politique adressé au monde, un message disant : « Nous sommes là, nous avons une identité et une voix ».
Mais entre ambition et réalité, entre droit et politique, la distance reste grande. L’ONU n’ouvrira pas un tel dossier facilement, l’Algérie n’acceptera aucune discussion sur son intégrité territoriale, et la France ne prendra pas de risque avec sa relation sensible avec son voisin du Sud.
Pour autant, l’événement reste un indicateur que la question de l’identité en Algérie n’est pas close, et que ce qui s’écrit aujourd’hui à Paris n’est qu’un nouveau chapitre d’une longue histoire entre « la Kabylie » et « l’État », entre rêve et mémoire, entre politique et droit à l’existence.



