Le soir du 3 novembre 2025, l’entretien de Masad Boulos sur France 24 a dépassé le cadre d’une simple rencontre diplomatique ou d’une déclaration protocolaire. Il s’est présenté comme un miroir reflétant un changement profond dans la structure du discours américain et international sur le Sahara marocain. L’homme, qui est le principal conseiller du président américain pour les affaires africaines et arabes, ne s’exprimait pas avec un ton technique ou administratif ; sa voix portait les contours d’un basculement géopolitique dans la région maghrébine : du conflit artificiel vers une souveraineté reconnue, d’un récit de « décolonisation » vers la réalité de « stabilité » incarnée par le Royaume du Maroc sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
Dès les premières minutes de l’entretien, lorsque Boulos a qualifié la récente décision du Conseil de sécurité concernant le Sahara de « historique », il était clair que nous étions face à une approche américaine nouvelle, qui ne se mesure pas aux termes habituels de la diplomatie, mais qui s’inscrit dans une architecture plus large visant à rééquilibrer la légitimité au Maghreb. Cette décision n’était « historique » non seulement parce qu’elle renouvelait le mandat de la mission onusienne, mais aussi parce qu’elle établissait — de manière implicite — la position centrale du Maroc dans l’équation de la sécurité régionale, consolidant ainsi le principe de souveraineté réelle sur le principe d’allégations idéologiques qui ont accompagné ce dossier pendant des décennies.
Le ton de Boulos était calme, mais chargé de significations. Il a évoqué la « sagesse de Sa Majesté le Roi Mohammed VI », la présentant comme un élément central sur lequel il faut compter pour franchir l’étape à venir. Ce compliment n’était pas fortuit, mais une indication diplomatique claire que Washington considère désormais la diplomatie royale marocaine comme un capital stratégique pour la stabilité régionale.
Ainsi, ce qui pouvait apparaître à certains comme une « déclaration douce » cache en réalité une reconnaissance solide que le Maroc n’est plus évalué uniquement par sa position géographique, mais par sa stature politique et réformatrice, faisant de lui la seule voix capable de transformer les tensions en équilibre dans un espace instable.
Du conflit à la souveraineté
Lorsque Boulos a décrit la résolution de l’ONU comme « satisfaisante pour les deux parties », il reformulait en fait l’ancienne équation d’une manière nouvelle : le « consensus » ne signifie plus une solution grise ou condescendante, mais un « accord fondé sur la réalité, tout en préservant la dignité de chacun ». Aujourd’hui, le Maroc, après cinquante ans de blocage systématique du dossier, ne négocie plus son droit, mais les conditions pour concrétiser sa souveraineté dans un climat régional stable.
La résolution onusienne — telle que l’a interprétée Boulos — n’a pas été conçue pour satisfaire tout le monde, mais pour mettre fin à l’immobilisme. Pour la première fois, le Conseil de sécurité a utilisé un langage indiquant clairement que l’initiative d’autonomie marocaine constitue le cadre le plus réaliste et durable pour la solution, représentant une victoire explicite pour le réalisme politique marocain, qui a choisi, depuis 2007, la voie de la construction plutôt que du conflit.
C’est ici que se révèle la profondeur de la nouvelle position américaine : elle ne revient pas sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine par l’administration Trump, mais elle ne réduit pas non plus la question à cette reconnaissance. Elle réoriente le débat vers une « solution pragmatique » qui fait du Maroc une pierre angulaire de la stabilité régionale et, si l’Algérie choisit la sagesse, un partenaire plutôt qu’un adversaire.
L’Algérie entre le poids de l’histoire et les impératifs géographiques
Quand Boulos a mentionné sa récente visite en Algérie et l’« ouverture du président Tebboune et de son équipe au dialogue historique avec le Maroc », cela a constitué un test de la volonté algérienne devant le monde. Les États-Unis ne parlent pas ici d’une médiation traditionnelle, mais d’une carte de paix maghrébine estimant que le temps de l’immobilisme est révolu.
Mais la question fondamentale reste : l’Algérie pourra-t-elle se libérer du poids de son histoire coloniale pour écouter la logique géographique contemporaine ? Depuis le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI lors du 67e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple en 2021, le Maroc appelle explicitement à ouvrir une nouvelle page, désignant l’Algérie comme « sœur », un qualificatif qui dépasse la froideur diplomatique et reflète une vision royale qui valorise le destin commun sur la logique de l’hostilité stérile.
Entre Rabat et Alger, il ne s’agit pas d’un simple conflit frontalier, mais d’un choc de conceptions : le Maroc est devenu un État de institutions, de stabilité, d’investissements et de clairvoyance, tandis que l’Algérie reste prisonnière d’un récit de guerre froide, reproduisant un discours de « libération » dans un temps où les slogans classiques de la libération sont dépassés.
Ainsi, le commentaire de Boulos sur les « deux pays frères » unis par « culture, fraternité et histoire partagée » n’est pas de la rhétorique ; c’est un rappel implicite que la mémoire commune est plus forte que les inquiétudes politiques, et que le Maghreb ne peut se relever que si la sagesse royale marocaine rencontre un moment de conscience historique algérienne, peut-être long mais inéluctable.
Les États-Unis et l’ère de la « pragmatique morale »
Au cœur des propos de Boulos, se dessine une nouvelle politique américaine fondée sur ce que l’on peut appeler la « pragmatique morale ». Après les échecs majeurs au Moyen-Orient, Washington recherche aujourd’hui des partenaires rationnels et non des aventuriers. Le Maroc, grâce à son expérience dans la lutte contre l’extrémisme, la gestion de l’immigration, ses investissements en Afrique et ses réformes internes graduelles, est devenu aux yeux des États-Unis un modèle rare de « stabilité productive » — une stabilité générant une énergie diplomatique positive dans son voisinage.
En revanche, l’Algérie, qui a un temps misé sur la « révolution permanente », se trouve aujourd’hui face à une nouvelle équation : soit elle engage le dialogue avec Rabat sur la base de la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et des intérêts, soit elle persiste dans l’isolement, en contradiction avec la nouvelle réalité dessinée par les grandes puissances.
C’est pourquoi la déclaration de Boulos selon laquelle « le seul moyen de résoudre ce dossier est un consensus entre les parties » est fondamentale. Il ne s’agissait pas d’une « solution concédante », mais d’un « consensus fondé sur la réalité » — c’est-à-dire l’acceptation par tous de la souveraineté marocaine comme point de départ de tout dialogue. La question essentielle demeure : l’Algérie comprendra-t-elle que le monde a changé et que la logique de l’« immobilisme révolutionnaire » n’est plus viable à l’ère des transformations géopolitiques ?
Le Sahara marocain : une clé pour redessiner la carte africaine
Le discours sur le Sahara n’était pas isolé du commentaire de Boulos sur le Soudan. Les fils qui relient ces dossiers géographiquement distants mais stratégiquement liés à la vision américaine sont clairs : Washington cherche à éteindre les foyers de fragmentation en Afrique en établissant de véritables axes de stabilité. Dans ce contexte, le Maroc est la pierre angulaire du Nord du continent, l’Égypte pour le Nil, et le Soudan devient le terrain d’épreuve pour l’efficacité américaine dans l’imposition d’une trêve humanitaire et politique.
Lorsque Boulos a évoqué une « feuille de route » pour résoudre la crise soudanaise, il n’était pas éloigné de la philosophie de la résolution onusienne du Sahara : dans les deux cas, il ne s’agit pas de la victoire d’une partie sur une autre, mais de la primauté de l’État sur le chaos.
C’est là que réside la force de l’approche marocaine défendue depuis longtemps par Rabat : la stabilité africaine ne s’obtient pas par des interventions étrangères ni par des solutions militaires, mais par l’affermissement de la légitimité nationale et la promotion du dialogue interne. Cette philosophie a permis au Maroc d’accueillir le dialogue libyen et de contribuer à la stabilité au Sahel et en Afrique de l’Ouest à travers des approches équilibrées de développement et de sécurité.
Le Maroc : une diplomatie silencieuse qui triomphe sans bruit
Masad Boulos ne parlait pas seulement au nom de Washington, il exprimait — sans doute inconsciemment — une reconnaissance tardive que le Maroc avait toujours eu raison. Depuis des décennies, le Royaume a adopté une politique de longue haleine, travaillant en silence à transformer son projet national en soft power capable de parler au monde sans jamais céder sur l’essentiel de sa souveraineté.
Ainsi, le « triomphe marocain » ne se mesure pas seulement à la reconnaissance américaine ou à la résolution du Conseil de sécurité, mais au basculement de l’opinion internationale vers la logique royale. Le monde voit désormais dans le Maroc un modèle de « monarchie réformatrice stable », une formule rare dans un monde de plus en plus instable et fragmenté.
La question qui se pose aujourd’hui n’est donc pas « la diplomatie marocaine a-t-elle triomphé ? », mais « dans quelle mesure ce triomphe peut-il se transformer en un projet régional commun ? ». La véritable victoire ne se compte pas en décisions, mais dans la capacité du Maroc à transformer cet élan politique en dynamique maghrébine, réinventant les anciennes notions de relations entre peuples et montrant que la souveraineté n’est pas une lutte sur le sable, mais une construction basée sur la conscience et la légitimité.
Conclusion : vers une nouvelle ingénierie de l’esprit politique maghrébin
Entre le Sahara marocain et le Soudan, entre Rabat et Alger, un fil conducteur se forme en silence : le monde redécouvre la logique de l’État raisonnable, et le Maroc avance en tête de ces nations avec calme et confiance.
Les déclarations de Masad Boulos ne sont pas seulement une lecture américaine d’un dossier régional, mais un témoignage politique du succès d’une école diplomatique marocaine unique, prouvant que la sagesse n’est pas faiblesse et que la patience stratégique peut produire un changement historique sans tirer un seul coup de feu.
Peut-être que Boulos voulait dire plus que de la politique : il voulait reconnaître que le Maroc a triomphé dans sa bataille la plus profonde — celle de la vision. Entre la logique du conflit et celle de la souveraineté, le Royaume a choisi une troisième voie : la voie de la légitimité raisonnable qui n’exclut personne mais ne renonce jamais à son droit à la direction et à la souveraineté.
Ainsi, alors que la région oscille entre l’instabilité soudanaise et l’hésitation algérienne, Rabat continue de tenir les fils de la nouvelle rationalité régionale, avançant avec confiance sur la voie tracée par les rois fondateurs et poursuivie par Sa Majesté le Roi Mohammed VI : une voie qui fait du Maroc plus qu’un État, mais la conscience d’une région en quête de stabilité dans un monde où le sens se perd.



