mardi, décembre 2, 2025
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Nizar Baraka : Quand le politicien se flagelle au nom des valeurs – Entre éloquence morale et réalité du pouvoir

À une époque où politique et morale se confondent et où la frontière entre discours et pratique s’estompe, Nizar Baraka — secrétaire général du Parti de l’Istiqlal et ministre de l’Équipement et de l’Eau — a tenu un discours inhabituel dans le paysage politique marocain. Lors du Forum Al-Mizan pour la jeunesse 2.0, devant plus de 1500 jeunes venus de toutes les régions du Royaume, il a dénoncé « la corruption qui s’est aggravée » et « la culture de l’adhérence, du carriérisme et du favoritisme » qui mine les valeurs nationales et affaiblit la confiance des citoyens envers leur pays.

À première vue, le discours semble honnête dans son diagnostic. Mais une question essentielle se pose : comment un parti membre du gouvernement, disposant de ministres et de portefeuilles stratégiques, peut-il parler de corruption qu’il n’a pas réussi à combattre de l’intérieur des institutions mêmes du pouvoir ?

Depuis l’entrée en fonction de la coalition gouvernementale actuelle, dont le Parti de l’Istiqlal est un pilier, aucune transformation tangible n’a été observée dans la lutte contre la corruption ou dans l’ancrage de la justice sociale et de la transparence. Pire encore, le fossé de confiance entre citoyen et État s’est creusé, donnant l’impression que le discours réformiste reste essentiellement rhétorique.

Lorsque Nizar Baraka évoque « la crise des valeurs », il touche à une blessure sociale profonde, tout en nous ramenant à une contradiction de la politique marocaine : quand le responsable gouvernemental devient prédicateur moral au lieu d’être acteur concret de la réforme, la parole seule ne suffit plus.
Appeler à restaurer les valeurs islamiques ne peut masquer la faiblesse des institutions de contrôle et de reddition de comptes, institutions que les partis eux-mêmes contribuent à façonner.

Fait notable, Baraka a repris le concept de « l’ouverture manifeste », se référant au verset coranique sur lequel le Roi Mohammed VI s’était appuyé : « Nous t’avons accordé une victoire éclatante ». Mais sommes-nous réellement face à une nouvelle ouverture dans la conscience politique marocaine, ou à une ouverture symbolique destinée à raviver l’éclat historique du parti après s’être égaré dans la pragmatique des alliances gouvernementales ?

Son discours révèle une crise qui dépasse la politique et touche la société : érosion des valeurs, recul de la notion d’intérêt général, montée du carriérisme comme critère de réussite et transformation de l’« adhérence » en mode de vie plus qu’en comportement isolé. Mais peut-on réellement changer cette structure de valeurs par le seul discours ? Ou bien faut-il une révolution institutionnelle qui redonne toute sa place à la compétence et à la reddition de comptes, plutôt qu’au favoritisme et aux loyautés partisanes ?

L’analyse réaliste impose une question plus embarrassante : le Parti de l’Istiqlal, membre de l’Exécutif, a-t-il le courage de mettre en œuvre ce qu’il prône ? Ou son discours moral reste-t-il symbolique, pour embellir son image au sein d’un gouvernement qui n’a pas encore convaincu les citoyens de sa capacité à transformer la réalité ?

Ce que dit Nizar Baraka est important, nécessaire même. Mais il ne gagnera en profondeur et en impact que s’il se transforme en langage de l’action, passant de l’appel à la révision des valeurs à des politiques concrètes qui restaurent la confiance entre citoyen et État et démontrent que la réforme morale est indissociable de la réforme politique.

En définitive, le discours de Nizar Baraka n’est pas qu’un moment rhétorique, mais un miroir du malaise politique collectif, entre conscience aiguë du déclin des valeurs et incapacité persistante à traduire l’éthique en politique.

Et la question reste ouverte pour l’ensemble de la classe politique : peut-on vraiment combattre la « culture de l’adhérence » alors que nous restons prisonniers de la « culture du justificatif » ?

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