Les voies du Seigneur sont impénétrables…
Ainsi se déroula la scène lorsque le porte-parole officiel du gouvernement annonça le renvoi du dossier du « pain de papier » au parquet, comme si ce communiqué visait à refermer la page plutôt qu’à l’ouvrir. Un moment chargé de significations : au lieu d’engager un débat public sur ses responsabilités, le gouvernement a de nouveau opté pour la justice, répétant cette méthode d’envoi comme mécanisme pour désamorcer la gêne politique. Mais qu’est-ce qui effraie l’autorité dans un débat ouvert ?
Lorsque les associations civiles sont empêchées de dénoncer et dépouillées de leur rôle de surveillance de la corruption, la dénonciation devient un privilège de l’État seul, et non un droit de la société. Là réside la paradoxale question : comment peut-on exiger de la population qu’elle ait confiance en des institutions qui ne lui permettent pas de participer à leur protection ?
Quand le parti dénonce le gouvernement : la paradoxale affaire du « pain de papier » entre voix parlementaire et silence de l’État
En politique, rien n’est plus étrange que l’étincelle qui jaillit du cœur même de la maison.
C’est ce qui s’est produit au Maroc lorsqu’une déclaration anodine au Parlement s’est transformée en séisme politique, révélant la profondeur des contradictions au sein de la majorité et rouvrant la question : qui a le droit de dénoncer la corruption et qui peut la faire taire ?
Tout a commencé par une expression qui semblait métaphorique, mais qui brûlait le sens dans ses entrailles : « moudre du papier au lieu de farine ». Prononcée par Ahmed Touizi, chef du groupe du Parti Authenticité et Modernité (PAM), un parti partageant le pouvoir avec le Rassemblement national des indépendants et dirigeant le ministère de la Justice, cette phrase a créé une situation rare : un parti au pouvoir accusant des secteurs économiques d’injustice et de corruption, touchant la nourriture quotidienne des citoyens les plus pauvres.
Fissures dans le pouvoir ou éveil de la conscience ?
Lorsque le ministre délégué Mustafa Baytas répondit que le parquet « avait agi », le gouvernement semblait avoir choisi la défense institutionnelle plutôt que l’affrontement politique.
Mais l’État a-t-il réellement agi ou a-t-il seulement recours au langage juridique pour étouffer la politique ?
Est-il concevable que de grandes entreprises soient accusées de mélanger du papier à la farine, et que l’on se contente d’un simple communiqué sur une « enquête judiciaire en cours » sans position gouvernementale claire pour rassurer l’opinion publique ?
Fait notable : ce conflit ne vient pas de l’opposition, mais du cœur même de la majorité, ouvrant une question plus profonde :
Le PAM vit-il une dualité dans son discours entre ce qu’il dit au Parlement et ce qu’il pratique au gouvernement ?
Ou Touizi exprime-t-il ce que beaucoup cachent dans les cercles du pouvoir, mais n’osent révéler ?
Le papier et la farine… symboles d’une scène politique troublée
Pour le citoyen ordinaire, la farine symbolise la vie quotidienne. Quand son pain est touché, sa dignité l’est aussi.
Ainsi, la déclaration de Touizi n’était pas un simple « lapsus », mais un tremblement dans la conscience collective des Marocains, vivant depuis des années sous l’effet de la hausse des prix et des soupçons de monopole.
Mais la symbolique va plus loin.
Le papier dans cette histoire n’est pas simplement un ingrédient ajouté à la farine, mais une métaphore de la corruption cachée derrière les documents, factures et rapports.
Lorsque Touizi a précisé plus tard qu’il parlait de « falsification des factures », il décrivait le cœur du paysage marocain actuel : une corruption qui a appris à parler le langage même de la loi.
Le Parlement sur le fil du gouvernement
Voici le paradoxe : alors que le ministère de la Justice, dirigé par Abdelatif Ouahbi, adoptait des lois limitant la capacité des associations à dénoncer la corruption contre les politiciens, un parlementaire du même parti agissait exactement de la même manière depuis l’enceinte parlementaire !
Est-ce une coïncidence ou un paradoxe politique flagrant ?
Cette situation révèle la fragilité des relations entre les pouvoirs législatif et exécutif, et place l’État devant une question douloureuse :
Comment interdire aux associations de dénoncer la corruption tout en laissant des accusations s’élever au Parlement, ébranlant la confiance dans les institutions de contrôle et de reddition de comptes ?
Le paradoxe : celui qui est censé protéger la loi se plaint de son incapacité à affronter la corruption.
Le parquet comme bouclier politique ?
Quand le gouvernement renvoie tout dossier au parquet, il admet implicitement son manque de courage pour intervenir ou prendre position politiquement. Mais cela n’est-il pas une forme de « dédoublement de responsabilité » ?
Les enquêtes judiciaires ne rassurent pas toujours l’opinion publique, car elles sont par nature lentes et entourées de secret, alors que la crise est d’abord politique et éthique avant d’être légale.
Le gouvernement a recours au langage institutionnel pour éviter les questions essentielles : qui contrôle la qualité des produits subventionnés ? Pourquoi ne pas publier les résultats des enquêtes antérieures ? Et pourquoi, quand quelqu’un au sein du système parle de corruption, est-il encerclé de critiques et accusé de « d’exagération » ?
La dénonciation, du droit au risque
La dénonciation de la corruption s’est transformée en un risque potentiel, et non en un devoir citoyen. Chaque nouvelle loi qui réduit l’espace d’initiative érode la confiance collective dans la possibilité d’un réformisme interne. Car quand l’État craint le dénonciateur, il craint au fond de faire face à son propre miroir.
La conscience publique entre silence et suspicion
Le scandale — ou l’incident, comme certains l’appellent — n’est rien d’autre qu’un miroir reflétant la relation tendue entre le citoyen et l’État.
Le peuple, qui a perdu confiance dans les mécanismes officiels de reddition de comptes, voit aujourd’hui un parlementaire du parti au pouvoir décrire la réalité des pauvres comme du « papier moulu ».
Cette seule phrase est-elle suffisante pour secouer l’image de l’autorité ?
Le système politique marocain aura-t-il le courage de transformer ce choc en un moment de révision collective ?
Conclusion ouverte : la politique qui se dévore elle-même
L’affaire ne se limite pas au « pain de papier », mais à la transformation symbolique qu’elle révèle : un membre du système parle de la corruption du système, et le gouvernement répond que « la loi est en action ».
Comme si nous étions face à une scène résumant toutes les difficultés du gouvernement au Maroc : celui qui ose parler est accusé d’exagération, et celui qui se tait est accusé de complicité.
Ainsi, la vérité, telle une bonne farine, est tamisée entre les mains du pouvoir, tandis que le papier — cendres des lois et des plaintes — s’envole devant ceux qui cherchent à obtenir à la fois le pain et la justice.
Et la question reste ouverte :La réforme au Maroc nécessite-t-elle le courage de dire la vérité, ou le courage de la supporter ?



