À un moment où le droit croise la morale et où la liberté rencontre la responsabilité, l’affaire opposant le Prince Hicham au youtubeur marocain Reda Taoujni révèle l’ampleur des mutations qui traversent l’espace public au Maroc. La parole n’est plus un simple avis : elle est devenue un pouvoir numérique capable de bâtir la confiance ou de la détruire.
Ce qui se joue ici dépasse une simple déclaration sur YouTube : c’est la transformation du discours public lui-même. Nous ne sommes plus dans le champ du journalisme encadré par une éthique professionnelle, mais dans celui des plateformes individuelles où l’émotion remplace l’analyse, où la popularité se substitue à la vérification, et où la célébrité devient une fin en soi. C’est la crise d’une époque où la liberté s’émancipe des règles sans assumer le poids de la responsabilité.
Le Prince Hicham ne se place pas en victime, mais en penseur inquiet de la dérive morale du débat public. Il rappelle que la liberté d’expression, pour demeurer vivante, doit être habitée par une éthique, une décence, et un sens du respect. Sa réaction n’est pas impulsive ; elle est intellectuelle. Elle traduit la conviction que la parole, lorsqu’elle se vide de son contenu moral, devient une arme qui blesse le tissu social.
Lorsqu’il évoque la diffamation et l’insulte, le Prince n’apparaît pas comme un homme de pouvoir brandissant la loi, mais comme un intellectuel soucieux de redonner sens à la parole dans une ère numérique débridée. En qualifiant certains propos d’“indécents” et de “malséants”, il ne défend pas une susceptibilité personnelle, mais un principe : celui que la liberté d’expression ne peut s’épanouir dans une langue dégradée. Peut-on parler de liberté sans politesse ? Et le droit à l’expression peut-il se détacher de la dignité humaine sans perdre sa valeur morale ?
Le recours à la justice, dans ce contexte, ne traduit pas un désir de vengeance, mais une quête d’équilibre entre la liberté individuelle et la responsabilité collective. Le Prince Hicham voit dans la justice non pas une arme de censure, mais une vertu civique – un moyen de préserver la cohésion sociale dans un espace numérique saturé d’excès. La justice, ici, devient le rempart symbolique contre la dissolution du débat public dans le vacarme des plateformes.
Ainsi, l’affaire ne se réduit pas à un conflit entre deux personnes, mais à une confrontation entre deux visions du monde : celle d’une liberté sans repères et celle d’une responsabilité qui cherche à redonner sens au mot “respect”. Entre le discours de l’émotion et celui de la réflexion, entre la culture de la facilité numérique et l’exigence de la pensée critique, une question persiste :
Qui veille encore sur les frontières de la parole ?
Est-ce la loi ? La conscience morale ? Ou cette lucidité collective qui nous rappelle que la liberté sans responsabilité n’est qu’une autre forme du désordre ?



