mardi, décembre 2, 2025
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Génération Z : quand la jeunesse fait face au miroir du système – Une lecture intellectuelle des avertissements d’Aboubakr El Jamai

À une époque où la technologie se mêle à la politique et où l’image de “stabilité” côtoie la fragilité sociale, le Maroc traverse l’un de ses moments les plus sensibles depuis une décennie. Il ne s’agit pas simplement de manifestations juvéniles passagères, mais de ce que Aboubakr El Jamai qualifie de “signe de dysfonctionnement structurel du système”, lorsque surgit une génération capable de montrer la distance entre la réalité vécue et le discours officiel.

El Jamai estime que le mouvement de la Génération Z “n’est pas un simple mouvement de contestation, mais un symptôme d’un déséquilibre dans la structure du pouvoir”. Pour lui, “le pays tend vers une ploutocratie dominée par les riches et les influents”, et “le mouvement actuel de la jeunesse est le miroir qui reflète ce que le système a tenté de dissimuler derrière le vernis de l’investissement et de la prospérité”.

Le journaliste et académicien souligne également la capacité stratégique de cette génération, tout en maintenant ses critiques profondes de la structure du pouvoir et des politiques publiques : “La Génération Z est un phénomène qui devait éclater à un moment donné, car les conditions structurelles de tension existaient depuis des années”, dit-il. Et d’ajouter : “Vous êtes un phénomène très important au Maroc, un phénomène que j’attendais depuis longtemps, mais je ne pensais pas qu’il apparaîtrait si rapidement.”

Selon El Jamai, le mouvement de la Génération Z ne surgit pas du vide. Il résulte d’accumulations économiques, sociales et politiques, que l’analyste observe depuis plus d’une décennie. Il précise : “Les chiffres et les données indiquaient que le pays allait vers une explosion sociale, et il était inévitable que quelque chose se produise. Lorsque vous avez lancé le premier appel à manifester, je n’attendais pas une telle mobilisation de la jeunesse marocaine, mais c’était un signal fort que quelque chose bouillonnait sous la surface.”

El Jamai note également des similitudes entre ce mouvement et celui du 20 février 2011, voire avec le mouvement du Rif plus tard. Ce qui distingue toutefois le mouvement actuel, c’est son contexte temporel : il coïncide avec une campagne internationale de promotion du Maroc comme exemple de réussite économique et d’investissement.

Peu avant les premiers appels au mouvement, le magazine britannique The Economist avait publié un article célébrant la transformation du Maroc en premier exportateur de voitures vers l’Europe, le présentant comme un modèle en Afrique. Les agences de notation avaient également attribué au pays la catégorie “investissement sûr”. “À ce moment précis, il y avait une célébration internationale de l’image du Maroc prospère et stable, et votre mouvement est apparu pour montrer le contraire : derrière cette image brillante se cache une réalité fragile et douloureuse”, explique El Jamai.

Pour lui, les causes structurelles de la crise dépassent les simples chiffres de croissance ou le volume des investissements : “Le problème économique du Maroc n’est pas seulement dans les taux de croissance ou l’investissement, mais dans la distribution des richesses et la structure de l’économie. Depuis 2000, le taux de croissance tourne autour de trois à quatre pour cent, inférieur à celui de l’Égypte qui a traversé des crises successives, et proche de l’Algérie, dont la structure économique ne diffère guère de la nôtre. Cela signifie que tout ce qui est dit sur le ‘miracle économique’ est exagéré.”

El Jamai ajoute que l’indice de développement humain place le Maroc à un niveau très bas, précédé seulement par des pays en guerre civile comme le Yémen ou Djibouti, et souligne que “le pays a échoué à offrir un système éducatif et sanitaire à la hauteur des citoyens”. Il critique sévèrement la politique éducative, déclarant : “Le système éducatif marocain est parmi les pires au monde selon les classements PISA et TIMSS. La société ne vous a pas servi comme il le fallait ; vous n’avez pas reçu l’éducation que vous méritez. L’éducation publique est en ruine, la santé est dégradée, et les opportunités ne sont pas équitables.”

El Jamai souligne le contraste quotidien vécu par les jeunes : “Quand un jeune sort dans la rue et voit le train à grande vitesse, les stades et les infrastructures modernes, puis retourne à sa réalité misérable, il se demande : quel rapport ai-je avec ce spectacle luxueux ?”

Concernant la contradiction entre l’image extérieure du Maroc et la réalité intérieure, il précise : “Cette image est très relative. Un bon classement par une agence de notation ne signifie pas que vous êtes un paradis économique, mais seulement que vous êtes relativement sûr pour les capitaux. À l’intérieur, la situation est tout autre : un secteur privé structurellement faible et un monopole écrasant dans plusieurs secteurs vitaux.” Il ajoute : “Le secteur public a été laissé à dépérir au profit du secteur privé, et ceux qui possèdent les grandes écoles, hôpitaux et entreprises au Maroc sont peu nombreux ; en regardant de plus près, on retrouve toujours les mêmes noms.”

Sur la nature même de la Génération Z, il rejette l’idée d’un langage politique nouveau, mais insiste sur le fait que cette génération est unique : “Vous êtes la première génération née dans le monde numérique. Vous respirez, pensez et apprenez à travers lui. Aucune autorité ne peut vous comprendre totalement, car elle n’est pas née dans cet espace.”

El Jamai raconte une anecdote révélatrice : un étudiant en ingénierie dans une école publique lui a expliqué que la plupart des enseignants ne donnent pas réellement cours, mais des dossiers copiés d’internet. Les étudiants cherchent alors eux-mêmes leurs réponses sur YouTube et apprennent de manière autonome. Pour El Jamai, cela montre que la génération actuelle ne dépend plus de l’État pour produire sa connaissance.

Dans son analyse des politiques publiques, il affirme : “L’État a ouvert la porte à la privatisation sans contrôle, excluant ainsi de larges catégories de Marocains. Le problème est structurel, pas dans les intentions des individus. Ce n’est pas parce qu’un dirigeant est corrompu que le système ne produit pas ces dysfonctionnements ; le vrai diagnostic doit être structurel, pas personnel.”

Concernant la gestion des mouvements de protestation, il observe : “La réaction du système marocain se répète depuis 2011 : d’abord la violence excessive, puis un discours réformiste tardif. Cela s’est produit en 20 février, dans le Rif, et maintenant avec vous. Le système pense toujours avoir atteint la fin de l’histoire, que les Marocains sont satisfaits, puis il est surpris par un mouvement de jeunesse qui révèle la faille.”

Sur le lien entre politique et argent, il souligne : “Au Maroc, l’argent et le pouvoir se chevauchent comme jamais. Ceux qui détiennent la richesse possèdent aussi la décision. Même si nous critiquons Aziz Akhannouch pour le mélange de politique et d’affaires, il ne faut pas oublier que l’institution royale elle-même est un acteur économique colossal.” Il conclut : “Le problème n’est pas la présence de riches, mais l’absence d’institutions indépendantes qui empêcheraient la richesse de devenir un instrument de domination politique.”

Enfin, sur l’avenir de la participation politique, El Jamai insiste : “Malgré leur faiblesse, les partis restent nécessaires. Dire que nous ne faisons pas confiance aux partis ou aux élections, c’est renoncer à l’idée même de représentation.” Il note cependant que le système a vidé l’espace politique : “Quand les partis ont perdu leur capital populaire, l’État est devenu nu face aux citoyens, sans médiateurs ni façades.”

En conclusion, l’analyste laisse le lecteur face à une réflexion ouverte : peut-être que la question la plus importante n’est pas qui gouverne, mais comment redéfinir le sens de la participation à une époque où algorithmes et politiques s’entrelacent, et où le citoyen construit sa conscience hors des institutions étatiques.
Quand le monopole ancien du savoir et du discours est brisé, chaque génération est invitée à se demander : voulons-nous être gouvernés comme avant, ou voulons-nous définir un nouveau sens de l’engagement et de la responsabilité ?

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