mardi, décembre 2, 2025
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Quand la santé devient une affaire rentable : l’essor spectaculaire du privé marocain face au déclin de l’hôpital public

Deux visages d’un même pays

Alors que les hôpitaux publics s’enlisent dans la pénurie et la colère sociale, la Bourse de Casablanca raconte une tout autre histoire : celle d’une santé devenue secteur prospère et hautement spéculatif.

Selon les données du Centre de recherche Attijari Global Research (AGR), les bénéfices du secteur de la santé ont bondi de 74 % au premier semestre 2025, dépassant ceux de l’immobilier et se plaçant juste derrière l’automobile (+93 %).

Un paradoxe saisissant : comment un domaine perçu comme moribond dans le service public peut-il se transformer, côté privé, en machine à profits ?

La Bourse de Casablanca, nouveau thermomètre de la santé

Le rapport de l’AGR rappelle que le secteur bancaire reste le moteur central des bénéfices du marché (1,9 milliard de dirhams, soit deux tiers des profits récurrents des sociétés cotées), suivi du ciment.

Mais la véritable surprise vient de la santé privée, récemment arrivée sur la place financière avec le groupe Akdital, première chaîne d’hôpitaux privés au Maroc, introduite en Bourse fin 2022.

« En deux ans seulement, le secteur a réalisé une percée fulgurante, illustrant la fusion du capital et du soin — une alchimie dont les effets sociaux restent à mesurer », commente un analyste financier.

Akdital : du cabinet médical à l’empire coté

Les chiffres sont éloquents :

  • 2 milliards de dirhams de chiffre d’affaires consolidé au premier semestre 2025 (+68 % sur un an).

  • 214 millions de dirhams de bénéfice net (+69 %).

  • Une progression spectaculaire dans les pôles médecine pluridisciplinaire (+73 %) et oncologie (+65 %).

En 2024, Akdital affichait 2,95 milliards de dirhams de revenus, soit une hausse de 55 % sur un an, et une multiplication par six de son chiffre d’affaires en cinq ans.
Son président-directeur général, Rochdi Talib, vise 45 établissements fin 2025 et 62 à l’horizon 2027, contre 33 l’an dernier : une expansion digne d’un groupe multinational.

Quand le soin public s’épuise, le privé prospère

Cette montée en puissance du privé s’inscrit dans un contexte paradoxal : l’État investit massivement dans la généralisation de la protection sociale, mais c’est le secteur privé qui en récolte les fruits.

Un médecin du secteur public résume : « Le malade couvert par l’AMO finit souvent dans une clinique privée, car la couverture publique achète la prestation au lieu de la produire. »

Derrière cette évolution se cache un dilemme éthique : les réformes sociales financent-elles réellement la santé des citoyens ou l’enrichissement des actionnaires ?

La santé en Bourse : entre service et spéculation

Depuis son introduction, le titre Akdital a triplé de valeur.
La société pèse désormais 1,7 milliard de dollars en capitalisation boursière, et la part détenue par son président est estimée à 200 millions de dollars, selon Asharq – Bloomberg.

Mais cette envolée boursière reflète-t-elle une amélioration du système de santé ? Ou simplement la logique du marché ?

Un économiste avertit : « La Bourse récompense la croissance et la rentabilité, pas l’équité ni la qualité des soins. L’État doit veiller à ce que le profit ne se fasse pas au détriment du droit à la santé. »

Le grand écart social

Pendant que les cliniques privées se multiplient, les hôpitaux publics manquent de médecins, de matériel et de lits.
La médecine devient une marchandise, le malade un client, et la santé un terrain de spéculation.
Le risque ? Une fracture sanitaire à deux vitesses, où la réussite économique d’un secteur accentue l’injustice sociale d’un autre.

Questions ouvertes à la société et aux décideurs

  1. Le succès boursier d’Akdital traduit-il une véritable amélioration du système de santé ou un transfert de valeur du public vers le privé ?

  2. Les programmes de couverture sociale ont-ils créé un effet d’aubaine pour les cliniques au détriment du service public ?

  3. Qui régule aujourd’hui les tarifs pratiqués par les établissements privés ?

  4. Peut-on encore parler de « secteur de la santé » quand la logique financière domine la logique du soin ?

Conclusion — Quand le profit fait oublier le patient

Les chiffres publiés par AGR sont indiscutables, mais ils ne disent rien du vécu des malades ni de la qualité des soins.
Derrière la réussite économique d’Akdital se joue une question de société : veut-on un modèle de santé fondé sur la rentabilité ou sur la solidarité ?

« Akdital est peut-être une success story pour la Bourse, mais pour beaucoup, elle symbolise l’échec collectif d’un pays à défendre la santé comme bien commun, et non comme produit financier. »

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