Ce n’était pas une simple apparition médiatique, encore moins une réaction de circonstance. Le récent entretien qui a réuni Mohamed Ouzzine, secrétaire général du Mouvement Populaire, avec le journaliste Hamid Mahdaoui et le youtubeur Hamza Fadile, s’inscrit dans une stratégie consciente, presque calculée, pour redéfinir le positionnement politique d’un dirigeant souvent pris dans les engrenages du mensonge, de la désinformation et des fractures générationnelles.
Alors que des extraits tronqués de ses propos avaient circulé, jugés par beaucoup comme provocateurs — certains affirmant qu’il portait le blâme du sort du pays sur les épaules des citoyens —, Ouzzine a fait le choix de sortir de l’ombre du silence. Il n’a pas cherché la polémique : il a choisi le discours explicatif, le dialogue transparent. C’est ce qui transforme ce moment en un moment politique majeur — non seulement pour lui-même, mais pour l’ensemble du champ politique marocain.
Un contexte brûlant : du fragment à la polémique
Chaque mot compte quand on vit à l’ère du numérique. Un extrait, quelques secondes, un plan vidéo : voilà parfois tout ce qu’il faut pour infliger une blessure d’image.
L’extrait controversé, largement diffusé, après sa prise hors contexte, a déclenché une onde de choc sur les réseaux sociaux. Certains l’ont interprété comme un discours qui culpabilise les citoyens ; d’autres l’ont vu comme le révélateur d’un parti-pris politique contre l’opposition.
Ouzzine, conscient que le “clip viral” peut devenir dans l’esprit collectif une “vérité” par défaut, n’a pas attendu que la rumeur fasse son chemin. Il a pris l’initiative. Cela montre d’abord une lucidité médiatique : reconnaître que les règles de la visibilité politique aujourd’hui ne s’imposent plus depuis les bureaux feutrés, mais depuis TikTok, Instagram, YouTube et les podcasts.
L’entretien comme terrain de vérité
Quand il est assis face à Mahdaoui et Fadile, Ouzzine ne se contente pas de corriger une image. Il ouvre une fenêtre large sur ses valeurs, ses principes, ses doutes, ses analyses. Ce faisant, il utilise trois registres qui se sont rarement combinés dans le discours politique marocain :
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La responsabilité assumée : il dit clairement qu’il est prêt à prendre sa part dans ce qui lui est reproché, mais ne veut pas que des phrases soient détachées de leur contexte.
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Le diagnostic : il identifie les causes profondes — non seulement la “fragilité de l’image médiatique”, mais “les pratiques de manipulation”, “les calculs politiciens”, “les usages des réseaux sociaux pour fabriquer des récits”.
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La pédagogie : à plusieurs moments, il invite le public à voir la globalité du propos, à juger après avoir écouté tout l’entretien, et non à partir d’extraits partiels.
Ce mélange de transparence, de pédagogie et de responsabilité donne à l’entretien non pas l’air d’une défense, mais celui d’une proposition : celui d’une nouvelle manière de faire la politique.
Dialogue intergénérationnel : l’enjeu de la Gen Z
La Gen Z au Maroc — les “nés après 1996 jusqu’au début des années 2010” — représente entre 8,2 à 10,9 millions de personnes selon les recensements récents.
Ces jeunes ont grandi “dans les écrans”, pour emprunter une formule souvent répétée : univers numérique, attentes immédiates, méfiance envers l’autorité traditionnelle, une exigence forte de justice, de reconnaissance, de sens.
Et c’est précisément ce public que visait, consciemment ou non, l’entretien. Ouzzine ne parlait pas simplement “aux Marocains” : il parlait aux jeunes, il s’adressait à eux dans leur langage implicite, dans leur temporalité. Il acceptait les “réseaux” comme champ de débat, les clips courts comme partie du jeu du regard public, les préoccupations immédiates — l’emploi, la santé, l’éducation — comme des revendications légitimes, pas comme des slogans faciles.
Ce positionnement marque une rupture : non pas opposer le politique à la jeunesse, mais dialoguer avec elle, la présenter non comme un problème à gérer, mais comme une partie prenante, comme un interlocuteur à respecter.
Le style, la stratégie, et les symboles
Le style de l’entretien, sobre, calme, mais ferme, évite à la fois la surenchère émotionnelle et le verbiage politicien. Quelques symboles forts :
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“Regarder l’entretien entier” : c’est une injonction répétée. Ne pas s’arrêter aux extraits, c’est refuser la logique du fragment, de la manipulation.
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“Je prends ma part” : attente transparente de responsabilité, mais sans verser dans le ressentiment ou la victimisation.
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L’acceptation des critiques légitimes : sur les lacunes du système, sur le fait que les jeunes souffrent, sur les promesses non tenues — mais en mentionnant que des erreurs ou des dérives ne sauraient justifier de fausses narrations.
Tous ces éléments ne sont pas anodins : ils rejoignent ce qu’attend la Gen Z — un leadership inspirant, crédible, honnête, capable de parler vrai sans fausses promesses, capable de reconnaître ses fautes tout en offrant des perspectives.
À qui profite la désinformation ?
Une partie centrale de l’entretien est consacrée à ce que j’appelle l’appareil de désinformation politique : les pages, les extraits, les montages, les intentions politiques cachées. Ouzzine dénonce que certains acteurs, parfois tapis dans l’ombre, utilisent les mêmes relais pour démolir ou diaboliser des figures d’opposition ou des responsables, tout en encensant d’autres, selon des intérêts précis.
Cette critique, si elle est risquée, est aussi stratégique :
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Elle replace la question du rapport entre pouvoir politique, médias officiels ou semi officiels, et “influenceurs” sur les réseaux sociaux dans un cadre plus large que la simple polémique.
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Elle donne à Ouzzine le rôle de non seulement “victime”, mais acteur conscient des logiques en cours. Celui qui identifie les armes et commence à s’en prémunir.
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Elle crée chez l’audience une attente : que la transparence ne soit pas seulement rhétorique, mais qu’elle s’étende aux médias, à l’éthique journalistique, aux obligations de publication.
Un repositionnement de l’opposition
L’un des effets peut-être les plus durables de cet entretien est le repositionnement de la Harka oppositionnelle : comment se présente aujourd’hui l’opposition au Maroc quand la jeunesse ne veut plus seulement du bruit, mais du sens, des résultats, de la clarté ?
Ouzzine ne se contente pas de critiquer le gouvernement actuel. Il offre un contraste implicite : une opposition qui écoute, qui comprend, qui veut proposer, pas seulement s’inscrire dans l’affrontement. Ce double registre — critique constructive + volonté de réforme — est difficile à maintenir, mais il a le mérite de résonner dans l’espace public changé : celui de la Gen Z, celui de l’immédiateté, celui de la vidéo virale, celui de la sincérité visible.
L’enjeu de l’authenticité
Authenticité : voilà le mot-clé. De plus en plus, dans les discours publics, ce ne sont pas les promesses qui comptent, mais la crédibilité perçue. Un jeune ne croit plus seulement ce qu’on lui dit, il vérifie ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il perçoit sur les réseaux, dans les conversations, dans le vécu quotidien.
Ouzzine, de ce point de vue, a changé le jeu : il ne veut pas seulement que ses mots circulent, il veut que ses actes, ses postures, ses réactions, ses sorties publiques parlent. L’entretien avec Mahdaoui & Fadile est une étape visible de ce chemin vers l’authenticité politique demandée.
Ce qu’il reste à construire
Cet entretien ne résout pas tous les défis. Il est une étape — une étape importante — mais les attentes restent énormes :
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La mise en œuvre concrète des engagements : que Ouzzine, le MP ou toute opposition crédible transforme ce discours en mesures visibles : plus de transparence, lois sur la responsabilité, contrôle médiatique.
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La constance : ce type de posture ne peut pas servir de “moment” ponctuel, mais d’orientation permanente. Les jeunes observent non les discours mais les suites.
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L’interface entre politique et numérique : mieux que d’apparaître, savoir exploiter ce nouvel espace pour structurer des propositions, des dialogues, des plateformes citoyennes.
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La communication proactive : ne plus courir après la rumeur, mais la devancer, la contrer, imposer son propre récit.
Conclusion : un nouveau cap politique ?
Si ce qu’on retiendra de cet entretien, c’est que Ouzzine a donné une image de leader différent : présent, audible, capable de reconnaître la fragilité du contexte, mais pas prêt à céder à la facilité. Leader qui, contre des usages anciens, choisit la transparence, le dialogue, l’écoute.
Et c’est exactement ce que la Gen Z réclame : non pas un chef qui impose, mais un guide qui partage, non pas un discours qui sermonne, mais une parole qui engage, non pas une rhétorique de division, mais un récit d’unité, de justice, de futur.
Ce pourrait être, si cela se confirme, une étape charnière dans la politique marocaine : celle où l’opposition cesse d’être simplement protestataire, et devient proposante, écoutante, connectée à ceux qui ne veulent plus seulement être sujets, mais être acteurs.
Si le Maroc digère bien ce tournant, si d’autres leaders suivent le pas, ce ne sera pas seulement une victoire pour Mohamed Ouzzine. Ce sera une petite révolution silencieuse dans les mentalités politiques : celle du respect, de la responsabilité et de la vérité.



