Lors d’un des épisodes les plus sensibles sur la chaîne Médi 1 TV, Mustafa Baytas, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, est intervenu pour s’exprimer directement sur les manifestations étudiantes et jeunes qui secouent le Maroc pour le septième jour consécutif. Le gouvernement a choisi de les qualifier d’« expressions de la jeunesse ».
L’émission, à laquelle ont participé plusieurs journalistes de la chaîne et des médias nationaux, semblait à première vue ouvrir une fenêtre de dialogue avec l’opinion publique. Mais elle a révélé en profondeur une crise de communication aiguë entre le gouvernement et la société, notamment avec une nouvelle génération de Marocains qui ne reconnaît plus les canaux politiques traditionnels ni le discours officiel habituel.
Depuis le début de cette dernière vague de protestations dans plusieurs villes marocaines, le débat ne se limite plus à des revendications sociales ou économiques spécifiques. Il soulève des questions plus profondes sur la capacité de l’État à comprendre le langage de cette nouvelle génération – une génération née dans un monde numérique ouvert, qui rejette l’ancien intermédiaire partisan et les discours préfabriqués déconnectés de leur réalité quotidienne.
Dans ce contexte, l’apparition de Mustafa Baytas sur Médi 1 TV était une tentative du gouvernement de rassurer l’opinion publique et de présenter sa version des événements. Mais ce qui semblait être une initiative de communication s’est rapidement transformé en un miroir reflétant une crise plus profonde : un déficit de confiance mutuelle entre l’autorité et la jeunesse, et une crise de communication révélant que le gouvernement n’a pas encore trouvé le langage capable de toucher la « Génération Z » marocaine.
Questions laissées en suspens après l’émission
Le gouvernement a-t-il réellement réussi à faire passer son message ? Ou s’agissait-il d’une tentative tardive pour combler le fossé grandissant entre l’État et la société ? Et ces rencontres médiatiques suffisent-elles à apaiser la colère populaire, ou renforcent-elles la distance entre le discours institutionnel et la réalité du terrain ?
Écouter… un mot répété mais sans impact
Lors de l’émission, le ministre Baytas a insisté à plusieurs reprises sur le fait que « le gouvernement écoute les jeunes » et considère l’écoute comme un préalable essentiel à toute solution réaliste. Mais dans les faits, ce discours ressemblait davantage à une mesure de calme temporaire qu’à un véritable plan de réforme.
Les manifestations ne sont pas nées du jour au lendemain ; elles résultent d’un long accumulatif de frustrations : coût de la vie élevé, faible qualité des services publics et perte de confiance envers les partis et les élites.
Pourtant, le gouvernement – par l’intermédiaire de Baytas – a choisi de rappeler aux Marocains que les crises sont « héritées depuis l’indépendance », comme s’il cherchait à justifier moralement son incapacité politique au lieu de proposer une vision pour sortir de l’impasse.
Cette approche a soulevé plusieurs questions :
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Dans quelle mesure le discours d’« écoute » n’est-il qu’un prétexte pour reporter les décisions ?
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Est-il acceptable qu’un gouvernement à mi-mandat se contente de répéter que « les problèmes sont anciens » sans expliquer ce qui a été fait concrètement pour les résoudre ?
Un gouvernement en défense, pas en leadership
Baytas est apparu plus acculé par les questions qu’initiateur de réponses. Il était clair que le gouvernement ne disposait pas d’une narration unifiée de la crise. Interrogé sur le retard de la réaction officielle face aux manifestations, il a répondu que « la réunion tripartite de la majorité était suffisante », tandis que le public attendait une position politique directe du Premier ministre ou une initiative nationale de dialogue.
Dans les grandes crises, les peuples n’attendent pas des communiqués, mais la symbolique de la présence politique. De nombreux observateurs se sont donc demandé :
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Où est le Premier ministre ?
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Pourquoi n’a-t-il pas adressé un message direct aux jeunes via la télévision ou les plateformes numériques ?
L’absence de leadership symbolique dans un moment de tension a fait apparaître le gouvernement comme une institution gérant la crise en coulisses, laissant les réseaux sociaux devenir l’arène principale du débat.
Une crise de communication avant tout
L’émission a révélé que le problème ne réside pas seulement dans les décisions, mais dans leur communication au citoyen. Baytas, malgré sa maîtrise d’un langage politique calme, n’a apporté aucune nouveauté convaincante. Il n’a pas expliqué pourquoi les ministres des secteurs vitaux étaient absents des médias ni pourquoi les appels au dialogue avec la jeunesse sur le terrain ou via des plateformes officielles sont ignorés.
Ce silence ouvre la porte au « vide informationnel », laissant place aux rumeurs et désinformations. À l’ère du numérique, il est impossible de convaincre toute une génération d’attendre un « communiqué officiel » une semaine après l’événement. Le gouvernement est devenu, sans s’en rendre compte, une institution lente dans un temps rapide, écrivant en langage administratif pour une génération qui parle la langue des vidéos en direct et des hashtags.
Génération Z… adversaire ou conscience vivante de l’État ?
Le gouvernement semble percevoir les manifestations comme de simples « expressions momentanées », mais la Génération Z marocaine, âgée de 18 à 30 ans, n’est pas une génération de slogans. Elle est critique, connectée, et attachée à la dignité et à la responsabilité.
Cette génération ne brandit pas de slogans idéologiques, mais questionne l’État en termes simples :
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Pourquoi les opportunités ne sont-elles pas égales ?
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Pourquoi l’éducation et la santé restent-elles des domaines de discrimination sociale ?
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Pourquoi la richesse nationale ne se reflète-t-elle pas dans la dignité des citoyens ?
La Génération Z ne cherche pas un poste, mais un sens à son appartenance. Le problème ne réside donc pas dans les manifestations elles-mêmes, mais dans la lecture que fait l’élite de ces manifestations. C’est un appel à ouvrir une nouvelle page dans la relation État-société, où le citoyen devient partenaire et non simple récepteur des décisions.
Les chiffres ne suffisent pas à convaincre
Face aux critiques, Baytas a présenté des budgets importants : augmentation du budget de la santé de 19 à 32 milliards de dirhams, ouverture de nouvelles facultés de médecine, programmes de soutien à l’emploi et à l’éducation. Mais les chiffres, aussi impressionnants soient-ils, ne suffisent pas à convaincre le public.
Les citoyens vivent dans la réalité quotidienne, pas dans les tableaux budgétaires. Quand une personne fait la queue à l’hôpital ou peine à payer le transport et l’éducation, les chiffres perdent tout sens. Le déficit de confiance entre l’État et la société n’est plus financier, mais symbolique.
Absence de symbolique… échec de gestion de crise
Lors de la tragédie d’Al Haouz, le pays a testé l’image de l’État. Malgré l’effort considérable sur le terrain, beaucoup de Marocains ont senti que le gouvernement était absent sur le plan symbolique.
Baytas a évoqué « visites sur le terrain » et un « plan de reconstruction », mais la question reste :
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Pourquoi le citoyen n’a-t-il pas ressenti la présence humaine et non seulement administrative du gouvernement sur le terrain ?
Cette expérience prouve que le succès technique ne remplace pas l’absence émotionnelle, et qu’un État incapable de soutenir ses citoyens perd une partie de sa légitimité symbolique.
La justification ne convainc pas une génération de faits immédiats
En justifiant certains retards par les « accumulations du passé », Baytas répétait un discours entendu depuis les années 1990. Mais la génération actuelle vit dans un temps différent, où le pays se compare à des modèles internationaux émergents et se demande :
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Pourquoi les autres avancent tandis que nous répétons les mêmes excuses ?
Les manifestations ne sont pas une rébellion contre l’État, mais contre un discours justificatif devenu non crédible. Les Marocains veulent entendre « la solution a commencé », pas « le problème est ancien ».
Besoin d’une vision nationale renouvelée pour la jeunesse
Si le gouvernement a vraiment « écouté la jeunesse », la prochaine étape doit aller au-delà des simples promesses :
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Ouvrir des canaux de dialogue directs et réguliers.
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Impliquer les jeunes dans l’élaboration des politiques publiques.
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Les intégrer dans les médias publics pour que leur voix fasse partie de la scène officielle.
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Redonner une place au travail associatif et politique comme espace d’expression, non comme instrument de clientélisme.
Rebâtir la confiance avec la Génération Z ne se fera pas par des communiqués, mais par une implication réelle prouvant que la voix de la rue est entendue et influente.
Vers un État qui écoute, pas qui justifie
En conclusion, l’apparition de Baytas sur Médi 1 TV était nécessaire mais insuffisante. Il a réussi à réduire la tension du discours officiel, mais a échoué à restaurer la confiance populaire.
Les citoyens ne veulent pas que le gouvernement se défende, mais qu’il les défende. Tant que la majorité au pouvoir n’admettra pas que la crise est autant politique que sociale, aucun remaniement ou budget supplémentaire ne changera fondamentalement la situation.
Le moment présent n’est pas celui de la justification, mais de redéfinir ce que signifie l’État dans la conscience de la jeunesse marocaine. Si le discours d’« écoute » ne se transforme pas en action institutionnelle réelle, la Génération Z continuera à occuper la rue, non par colère, mais pour défendre la dignité d’un pays qu’elle veut voir enfin se relever.
Conclusion
Les manifestations actuelles ne sont pas une vague de colère passagère, mais une alerte civique rappelant au gouvernement, aux partis et aux élites que le temps du discours hiérarchique est révolu.
Le Maroc est à un moment charnière : soit il considère le cri de sa jeunesse comme une opportunité de renouveler le contrat social, soit il continue à justifier jusqu’à perdre la dernière parcelle de confiance. Entre le discours d’« écoute » et le discours de « négation », le pays est à un carrefour : écouter sa jeunesse et construire l’avenir avec elle, ou continuer à tourner en boucle dans la justification, jusqu’à une rupture irréversible entre l’État et sa nouvelle génération.



