En l’espace d’une semaine, la voix de la rue marocaine s’est élevée à travers des initiatives numériques portées par la jeunesse sous le nom Gen Z 212. Des revendications claires ont émergé, portant sur la santé, l’éducation, l’emploi et la lutte contre la corruption, tout en imputant au gouvernement la responsabilité des échecs accumulés. Cette dynamique soulève une question centrale : quelles sont les prérogatives constitutionnelles du Roi face à un gouvernement dont certains membres sont appelés à la démission, et quelles sont les options offertes par la Constitution pour dissoudre ou sanctionner ce gouvernement ?
Cet article propose une lecture analytique complète, combinant l’examen du texte constitutionnel avec une analyse politique, sociale et éthique, tout en présentant des scénarios réalistes pour un débat objectif.
1. Cadre constitutionnel : textes et pouvoirs
La Constitution marocaine de 2011 confère au Roi une position centrale : chef de l’État, symbole de l’unité nationale et garant de la continuité de l’État. Dans le contexte actuel, ce qui importe est le champ de son intervention dans la vie gouvernementale et parlementaire :
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Droit de dissolution : Le Roi peut dissoudre la Chambre des représentants, la Chambre des conseillers, ou les deux, par dahir royal conformément aux articles 96, 97 et 98, après consultation du président de la Cour constitutionnelle et notification au Premier ministre ainsi qu’aux présidents des chambres, tout en adressant un discours officiel à la nation expliquant les motifs.
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Organisation d’élections dans un délai de deux mois : Si le Parlement est dissous, la Constitution impose la tenue de nouvelles élections dans un délai maximum de deux mois, ce qui souligne la gravité et la nécessité de cette procédure.
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Interdiction de dissolution avant un an : L’article 98 interdit la dissolution du nouveau Parlement avant un an, afin de protéger la stabilité de l’État.
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Initiative du Premier ministre : Le Premier ministre peut proposer la dissolution du Parlement après consultation du Roi et des présidents des institutions constitutionnelles, avec présentation d’un exposé au Parlement détaillant les raisons de cette décision.
Cette répartition précise des responsabilités fait du Roi le garant des équilibres nationaux, tandis que le gouvernement est responsable de la gestion exécutive.
2. Contexte actuel : pourquoi parler de démission ou de dissolution maintenant ?
Le mouvement Gen Z 212 n’est pas le fruit du hasard. Une jeunesse née dans un monde numérique, influencée par des images et vidéos provenant des hôpitaux, universités et rues, a déclenché une vague de protestations à la fois numériques et sur le terrain.
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Élément déclencheur social : Décès dans les hôpitaux dus à un manque d’équipements, chômage élevé, disparités régionales dans l’éducation et la santé.
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Accumulation politique : Perte de confiance dans un gouvernement n’ayant pas tenu ses promesses et frustration face au manque de transparence dans la gestion des finances publiques.
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Dimension politique : Les revendications sociales se sont rapidement transformées en demandes politiques explicites : démission du gouvernement actuel, réorganisation des priorités nationales, loin des projets « symboliques » accusés de détourner les ressources.
Face à certains affrontements urbains et victimes, des voix se sont élevées pour exiger l’intervention du plus haut niveau politique afin de mettre fin à la crise.
3. Scénarios d’intervention royale : entre texte et réalité
a. Discours royal direct
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Action : Adresser un discours à la nation reconnaissant la responsabilité de l’État et ordonnant des mesures urgentes (commission d’enquête indépendante, budget d’urgence, calendrier de mise en œuvre).
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Impact : Apaisement immédiat de la rue tout en préservant la continuité des institutions.
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Défi : Le succès dépend de la mise en œuvre concrète et transparente, sinon il ne restera qu’un acte symbolique.
b. Dissolution du Parlement et élections
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Action : Utilisation des prérogatives constitutionnelles du Roi pour dissoudre le Parlement et organiser des élections dans les deux mois.
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Impact : Renouvellement de la légitimité politique par le vote.
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Défi : Ne garantit pas une réponse structurelle aux demandes de la jeunesse si les politiques publiques restent les mêmes et peut engendrer une instabilité politique de courte durée.
c. Démission ou remaniement ministériel
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Action : Demande de démission ou révocation de certains ministres avec réorganisation de l’équipe gouvernementale.
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Impact : Solution intermédiaire qui préserve les institutions et montre une réponse rapide à la jeunesse.
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Défi : Peut ne pas satisfaire une jeunesse exigeant un changement radical de la culture politique.
d. Responsabilisation et enquête judiciaire
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Action : Création d’une commission royale d’enquête ou renvoi de dossiers à la justice.
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Impact : Message fort sur la reddition des comptes et la justice, avec des signes concrets pour la population.
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Défi : Nécessite l’indépendance de l’enquête et la publicité des résultats, sinon elle devient un simple palliatif social.
4. Limites de la solution constitutionnelle
Même avec la dissolution du Parlement ou la révocation du gouvernement, les problèmes fondamentaux restent :
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Absence d’un plan réel de réforme sanitaire et éducative.
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Érosion de la confiance entre citoyens et institutions.
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Faiblesse des mécanismes de transparence dans les dépenses publiques.
Autrement dit, les solutions constitutionnelles peuvent changer les visages mais pas les politiques publiques.
5. Questions stratégiques ouvertes
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Au Roi et au gouvernement : Quelles mesures urgentes dans les 30 jours pour améliorer les services essentiels dans les provinces ?
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Au gouvernement : Existe-t-il un plan transparent pour réorienter les dépenses vers la santé et l’éducation ?
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Au Parlement : Une commission d’enquête indépendante sera-t-elle mise en place ?
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Au ministère public : Des procédures sont-elles en cours concernant les décès hospitaliers et les dépassements liés à la corruption ?
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À la société civile : Comment protéger la participation des jeunes et assurer leur représentation dans le dialogue institutionnel ?
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Aux citoyens : Faut-il privilégier des élections rapides ou des réformes institutionnelles à long terme ?
Conclusion
La Constitution marocaine offre au Roi une gamme d’outils, du discours symbolique à la dissolution du Parlement ou à la révocation du gouvernement, mais la crise Gen Z n’est pas une crise de textes, mais de confiance, d’institutions et de justice sociale. Une réponse rapide peut calmer le mécontentement, mais seule une réforme en profondeur peut transformer les manifestations en opportunité de reconstruction du contrat social.
Dans ce contexte, le journalisme analytique joue un rôle crucial, en posant les questions essentielles, en suivant la mise en œuvre et en tenant tous les acteurs responsables, afin de refléter fidèlement la société marocaine à un moment clé de son histoire politique et sociale.



