Au début du mois d’octobre 2025, la contestation menée par la jeunesse marocaine a franchi une nouvelle étape. La mouvance Génération Z (GENZ212) a adressé une lettre publique au Roi Mohammed VI, exigeant la démission du gouvernement, l’ouverture de procédures judiciaires contre les corrompus, ainsi que des réformes profondes en matière de justice sociale, de santé, d’éducation et d’emploi. Derrière ces slogans, se profile une remise en cause structurelle du système politique tel qu’il fonctionne aujourd’hui.
Des revendications radicales mais précises
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Évincer le gouvernement actuel pour son incapacité à protéger le pouvoir d’achat et à instaurer l’équité sociale.
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Dissoudre les partis politiques impliqués dans la corruption, avec l’application stricte du principe d’égalité des chances.
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Garantir les libertés publiques, notamment la liberté d’expression, de manifester pacifiquement, et la libération des détenus d’opinion et des étudiants arrêtés.
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Organiser une session nationale publique de redevabilité afin de faire la lumière sur les affaires de corruption et proposer des issues aux crises actuelles.
Ces revendications ne se limitent donc pas au terrain socio-économique : elles touchent directement aux fondements de la représentativité politique et aux mécanismes de gouvernance.
De la manifestation pacifique à la confrontation
Si les premières mobilisations se sont déroulées pacifiquement, certaines villes – comme Aït Melloul et Laqliâa près d’Agadir – ont été le théâtre d’incidents violents, dont une tentative d’intrusion dans un poste de gendarmerie. Le bilan est lourd : trois morts lors d’un affrontement qualifié par le ministère de l’Intérieur de « légitime défense », tandis que des ONG contestent cette version. L’usage des armes à feu et des gaz lacrymogènes a marqué un tournant dramatique dans la perception du mouvement.
Un gouvernement sur la défensive
Après plusieurs jours de silence, le chef du gouvernement a pris la parole pour se dire « prêt au dialogue » et à la prise en compte des revendications de la jeunesse. Mais ce langage d’apaisement reste flou et n’a pas dissipé les inquiétudes, notamment à cause de la poursuite des arrestations. Les ONG des droits humains demandent un arrêt immédiat des poursuites judiciaires et la libération des manifestants pacifiques.
Pourquoi interpeller directement le Roi ?
L’un des points les plus significatifs de cette séquence est la démarche directe vers le Roi :
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Elle traduit la rupture de confiance envers les partis et institutions intermédiaires, perçus comme discrédités.
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Elle souligne la dualité du discours : rejet du gouvernement et des élites politiques, mais confiance intacte dans la monarchie en tant que garante ultime de stabilité et d’arbitrage.
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Elle place toutefois la monarchie face à un défi inédit : répondre à des demandes sociales et politiques radicales sans fragiliser son rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée.
Trois scénarios en perspective
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Un tournant réformateur : ouverture d’un chantier de réformes structurelles (remaniement profond, mesures sociales urgentes, mécanismes de transparence et de contrôle).
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Un apaisement provisoire : annonces politiques et dialogues formels sans mesures concrètes, accompagnés d’un durcissement sécuritaire.
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La structuration du mouvement : si une coordination claire émerge, Génération Z pourrait se transformer en acteur sociopolitique capable de bousculer durablement l’équilibre partisan.
Les grandes questions ouvertes
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Qui incarne réellement la direction de ce mouvement ? Existe-t-il des leaders identifiables ou reste-t-il une force diffuse et horizontale ?
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Le gouvernement peut-il regagner la confiance des jeunes en proposant des mesures rapides et tangibles, ou a-t-il déjà perdu cette bataille symbolique ?
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La monarchie acceptera-t-elle de prendre à bras-le-corps ces demandes en initiant un nouveau pacte social, ou cherchera-t-elle à temporiser ?
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Quelle sera l’issue pour les centaines de détenus arrêtés lors des manifestations : un geste d’apaisement ou un signal de fermeté ?
Une épreuve de vérité pour le contrat social marocain
Au-delà de l’émotion du moment, cette séquence s’impose comme un test de légitimité pour l’ensemble du système politique marocain. Génération Z ne demande pas seulement une amélioration des conditions de vie : elle réclame transparence, justice et équité, et elle s’adresse au Roi comme au seul acteur en mesure de garantir un changement réel.
Dès lors, la question est posée : le Maroc saisira-t-il cette occasion pour refonder son contrat social, ou préférera-t-il refermer la parenthèse par des mesures sécuritaires et un apaisement de façade ?



