Au lendemain d’une vague de protestations inédites dans plusieurs villes du Royaume, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Rachid El Khalfi, est intervenu pour expliquer les raisons de l’interdiction des dernières manifestations.
Derrière ce discours officiel, qui tente d’afficher un équilibre entre le droit de manifester et la préservation de l’ordre public, se cachent plusieurs messages implicites qu’il convient d’analyser.
Entre droit de manifester et stabilité sociale
Le communiqué souligne que l’interdiction des rassemblements a été motivée par « le non-respect des dispositions légales » et par la nature « non encadrée et anonyme » de ces mobilisations. En invoquant la Constitution, El Khalfi rappelle l’existence d’un équilibre fragile : d’un côté, le droit à la manifestation pacifique (article 29), et de l’autre, le droit de la société à la sécurité et à la stabilité (article 21).
Question à débattre : Cet équilibre est-il réellement possible face à une colère sociale grandissante ? Ou bien la référence au droit et à la sécurité n’est-elle qu’un moyen de restreindre les libertés politiques ?
L’usage de la force : cadre légal ou signal politique ?
Selon le ministère, les interventions des forces de l’ordre se sont déroulées « dans le respect total des règles juridiques et professionnelles ». Le discours insiste sur la notion de graduation et de proportionnalité : recours minimal à la force, après épuisement de toutes les alternatives pacifiques.
Mais ce langage technico-juridique traduit en réalité une mise en garde : l’État tolère la contestation tant qu’elle reste encadrée. Dès qu’elle échappe aux canaux officiels, elle devient objet de contrôle et de dissuasion.
Question : Ce message est-il entendu par la jeunesse de la génération Z, qui rejette les médiations classiques et revendique des formes directes de mobilisation ?
Chiffres et transparence : rassurer ou contenir ?
El Khalfi rappelle que la majorité des interpellations n’étaient que des vérifications d’identité, et que seules quelques personnes soupçonnées de délits (violences, incendies, jets de pierres, dégradations) ont été placées en garde à vue. Le ministère met également en avant la « transparence » de ses opérations, soulignant que la presse a pu couvrir les événements sans restrictions.
Question : Cette insistance sur la transparence vise-t-elle à convaincre l’opinion publique de la légitimité des interventions, ou s’agit-il surtout d’un instrument rhétorique pour calmer la rue et préserver l’image institutionnelle ?
Le chiffre-clé : 600 manifestations par mois
L’argument fort du communiqué repose sur une statistique : plus de 600 manifestations par mois auraient lieu dans le Royaume, en toute légalité et dans des conditions normales. Un chiffre destiné à prouver que la liberté de manifester existe bien au Maroc.
Mais comparaison est-elle raison ? Le mouvement actuel, ancré dans une jeunesse numérique et horizontale, peut-il être assimilé à ces manifestations routinières ? Ne faudrait-il pas repenser la gestion des protestations à l’ère des réseaux sociaux et de la défiance généralisée envers les institutions ?
Conclusion : un appel au respect de la loi… mais pas seulement
Le communiqué du ministère véhicule plusieurs messages explicites :
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Le droit de manifester est garanti, mais uniquement dans le respect strict de la loi.
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L’usage de la force reste « modéré » et « exceptionnel ».
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L’État agit pour préserver la sécurité, la paix sociale et la confiance dans les institutions.
Mais en filigrane, la communication officielle sonne aussi comme un avertissement : la rue doit rester encadrée, et toute déviation sera traitée avec fermeté.
Les vraies questions sont donc :
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L’équilibre entre sécurité et liberté est-il tenable sans un dialogue politique ouvert ?
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Le rappel au cadre légal suffit-il à combler la crise de confiance qui oppose la jeunesse et l’État ?
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Comment concilier la nécessité de maintenir l’ordre avec l’expression légitime d’un mécontentement social inédit ?
En définitive, ce communiqué est bien plus qu’une simple mise au point administrative : il révèle la manière dont l’État conçoit la gestion des contestations dans un Maroc en pleine mutation, où la rue et le numérique redéfinissent les règles du jeu politique et social.