jeudi, octobre 2, 2025
AccueilActualitésQuand l’accusé remercie le ministre… Lecture entre les lignes de l’affaire Moubdiâ...

Quand l’accusé remercie le ministre… Lecture entre les lignes de l’affaire Moubdiâ et des reculs sur l’enrichissement illicite au Maroc

Note déontologique : L’affaire évoquée dans cet article est toujours en cours devant la justice, et l’accusé bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’au verdict définitif. Ce qui suit n’est pas un jugement ni une condamnation, mais une lecture analytique des propos tenus et des signaux politiques et législatifs qui entourent ce dossier.

Dans une scène qui ne manque pas d’interroger, Mohamed Moubdiâ, ancien ministre, a choisi d’exprimer publiquement sa gratitude au ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi. Non pas pour une réforme sociale ou une avancée démocratique, mais pour avoir interdit aux associations de défense des droits de l’homme de déposer plainte contre les élus, conformément à l’article 3 du Code de procédure pénale.

Un remerciement qui, formulé au cœur même de la salle d’audience de la Cour d’appel de Casablanca, où l’ancien ministre est poursuivi pour détournement présumé de fonds publics et marchés douteux, dépasse largement le cadre personnel. Il révèle les ambiguïtés d’un système où politique et justice s’entrelacent dangereusement.

Un remerciement aux allures de message politique

Qu’un ancien ministre félicite le ministre de la Justice en pleine audience traduit plus qu’un simple réflexe de défense : c’est une lecture politique. Le nouveau dispositif juridique apparaît ainsi comme une protection supplémentaire pour la classe politique, privée désormais du contrôle citoyen exercé par les ONG. Dès lors, faut-il y voir un signal d’apaisement adressé aux élus inquiets de la judiciarisation croissante de la vie publique ? Ou bien le symptôme d’un recul assumé dans la lutte contre la corruption ?

Le retrait du projet de loi sur l’enrichissement illicite : coïncidence ou cohérence ?

Ce geste prend une dimension encore plus significative lorsqu’on le met en parallèle avec la décision récente du gouvernement de retirer le projet de loi sur l’enrichissement illicite, qui visait à obliger les responsables publics à justifier l’origine de l’augmentation de leur patrimoine.
Peut-on alors parler de hasard ? Ou bien d’une cohérence silencieuse entre la reconnaissance de Moubdiâ et la volonté politique d’épargner une partie de l’élite de tout contrôle trop intrusif ?
La question reste brûlante : le Maroc assiste-t-il à un recul programmé de la transparence au profit de l’équilibre des forces politiques ?

Quand la défense se transforme en attaque

Face au juge Ali Torchi, Moubdiâ ne s’est pas limité à nier les accusations. Il a choisi d’attaquer frontalement les rapports de l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur et de la Cour des comptes, les qualifiant de « vagues », « erronés », et allant jusqu’à évoquer des éléments relevant de la « fausse déclaration ».
Mais si les institutions de contrôle officielles elles-mêmes sont ainsi contestées dans leur légitimité, quelle crédibilité reste-t-il aux mécanismes de gouvernance et de transparence censés incarner la lutte contre le gaspillage des deniers publics ?

Entre discours moral et pratiques contestées

Paradoxalement, l’ancien ministre a rappelé être l’un des fondateurs d’une association pour la protection des deniers publics, alors même qu’il est poursuivi pour leur dilapidation. Ce paradoxe invite à une réflexion plus large : comment expliquer que des figures ayant porté le discours de la probité deviennent elles-mêmes les symboles d’une gouvernance entachée ? Est-ce une question de défaillance individuelle ou un dysfonctionnement structurel de l’ensemble du système politique ?

Un enjeu de confiance nationale et internationale

Au-delà du procès Moubdiâ, l’affaire met en lumière un malaise plus profond : entre une justice fragilisée, une législation en retrait, et une société civile marginalisée, la confiance citoyenne risque de s’éroder davantage. Et sur le plan international, une telle évolution ne manquera pas de questionner la cohérence du Maroc dans ses engagements en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.

Conclusion

L’affaire Moubdiâ ne se réduit pas à la défense ou à la condamnation d’un ancien ministre. Elle soulève une interrogation fondamentale : le Maroc poursuit-il réellement le chemin d’une transparence accrue, ou bien assiste-t-on à une normalisation du recul face aux enjeux de corruption et d’imputabilité ?
Lorsque, dans un tribunal, un accusé remercie le ministre de la Justice, ce n’est pas seulement une anecdote : c’est un symptôme.

Articles connexes

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

- Advertisment -spot_imgspot_imgspot_imgspot_img

Les plus lus

Recent Comments