D’un pont d’opportunités à un marécage de corruption : lecture d’un scandale né de l’alliance entre argent et pouvoir
Ce qui était présenté comme un rêve salvateur pour les jeunes chômeurs au Maroc est devenu aujourd’hui un symbole criant de l’échec des politiques publiques et un véritable scandale d’État. Les programmes comme “Intilaka” et “Forsa”, promus comme une nouvelle ouverture vers l’entrepreneuriat pour des milliers de jeunes, se sont soldés par une série d’enquêtes menées par la Brigade nationale de la police judiciaire, après la révélation de nombreuses irrégularités et manipulations liées à ces crédits préférentiels.
De la promesse à la tromperie
Au départ, ces programmes étaient présentés comme un pari stratégique du gouvernement d’Aziz Akhannouch pour réduire le chômage et relancer l’économie grâce au soutien aux entreprises émergentes. Mais très vite, des signes inquiétants sont apparus : dossiers bloqués pendant des années, prêts revendus au marché noir, structures d’accompagnement engloutissant des budgets colossaux sans aucun impact réel pour les bénéficiaires.
Au lieu de trouver dans ces programmes une chance de concrétiser leurs ambitions, de nombreux jeunes se sont retrouvés victimes d’un réseau complexe impliquant responsables financiers, élus locaux et intermédiaires, transformant l’espoir en “marchandise” rentable. Résultat : projets en faillite, dettes étouffantes et tribunaux remplis de jeunes poursuivis au lieu d’être des créateurs d’emplois.
Institutions majeures… entre absence de reddition et soupçons de complicité
Le scandale ne réside pas seulement dans le volume d’argent gaspillé, mais surtout dans le rôle passif des institutions censées accompagner et encadrer ces initiatives. Comment expliquer que ces structures, financées par l’argent public, se contentent de signer des conventions tape-à-l’œil, laissant les bénéficiaires à leur sort ?
Où sont passés les millions de dirhams alloués à la “formation et à l’accompagnement” ? Comment les banques se sont-elles transformées en acteurs d’un jeu qui a siphonné les rêves des jeunes au lieu de les soutenir ?
L’alliance argent-pouvoir : une équation qui dévore toutes les initiatives
L’affaire “Intilaka” et “Forsa” illustre une fois de plus une équation bien connue : lorsque l’argent s’allie au pouvoir, le résultat n’est autre que la reproduction du clientélisme et de la corruption. Au lieu de devenir un moteur socio-économique, ces programmes se sont mués en mécanismes de recyclage des mêmes réseaux qui savent capter les projets publics et les transformer en butins.
S’agit-il d’une simple faille de conception ou d’une volonté délibérée de transformer ces programmes en vitrines politiques ? Et pourquoi toutes les initiatives, même animées des meilleures intentions, tombent-elles systématiquement dans le même piège : manque de transparence, domination du favoritisme et abandon des jeunes face à l’inconnu ?
Qui est responsable ?
Les enquêtes en cours placent plusieurs acteurs dans le collimateur :
- Les banques qui ont traité les prêts comme de simples “produits commerciaux” plutôt qu’un engagement national.
- Les institutions publiques qui ont utilisé ces programmes comme instruments de communication politique au lieu de les protéger contre les dérives.
- Les organismes intermédiaires qui ont englouti des fonds dans des “formations fictives” n’ayant produit que l’échec.
Mais la véritable question demeure : l’État ira-t-il au bout de ces enquêtes, ou s’arrêtera-t-il une fois de plus aux niveaux subalternes, comme à l’accoutumée ?
Entre espoir perdu et colère sociale
L’affaire dépasse le cadre des chiffres pour devenir une plaie sociale ouverte. Des milliers de jeunes qui avaient cru en ces programmes vivent aujourd’hui la frustration et la désillusion, tandis que l’opinion publique y voit un nouvel épisode du gaspillage du temps et des budgets publics.
Si le programme “Intilaka” a démarré difficilement, “Forsa” n’a pas eu plus de succès, confirmant que le gouvernement Akhannouch a échoué à relever le défi de l’emploi, tout en contribuant à creuser une nouvelle désillusion qui risque d’éroder davantage la confiance des jeunes envers toute initiative future.
Des chiffres qui parlent
Selon des rapports économiques et médiatiques, plus de 30 000 petites et moyennes entreprises ont déclaré faillite au cours des dernières années, un chiffre alarmant qui révèle l’ampleur de la crise. Ces entreprises n’ont pas seulement perdu leur capital financier, elles ont payé le prix de politiques mal conçues, de manipulations de crédits et d’un accompagnement inexistant.
Le chômage des jeunes reste lui aussi élevé, dépassant 30% dans certaines régions, ce qui remet en cause la pertinence de programmes censés mobiliser des milliards de dirhams.
Des questions incontournables
- Pourquoi ces programmes n’ont-ils pas fait l’objet d’une évaluation indépendante et transparente avant leur déploiement massif ?
- Qui a réellement supervisé la performance des organismes d’accompagnement qui ont englouti les budgets ?
- Comment les prêts ont-ils pu devenir une marchandise sur le marché noir, sous les yeux des autorités ?
- L’enquête atteindra-t-elle les sphères les plus hautes de la responsabilité politique et administrative, ou sacrifiera-t-on encore les exécutants de bas niveau ?
Conclusion : un scandale qui met à l’épreuve la crédibilité de la réforme
Ce qui se joue n’est pas seulement un scandale financier, mais un véritable test de la volonté de l’État à rompre avec le clientélisme et à sanctionner ceux qui compromettent l’avenir de la jeunesse. Soit les enquêtes actuelles ouvrent la voie à une nouvelle ère de responsabilité, en poursuivant les coupables quel que soit leur rang, soit l’affaire sera classée à la hâte, confirmant aux Marocains que “l’espoir” reste une promesse toujours hors de portée.
Une certitude demeure : la jeunesse marocaine n’a plus besoin de discours creux, mais de programmes concrets, crédibles et transparents, capables de restaurer la confiance et d’offrir de véritables perspectives d’avenir.



