jeudi, octobre 2, 2025
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Pourquoi l’Espagne se dresse-t-elle contre Israël ?

Une lecture historique et contemporaine des racines de Madrid entre l’héritage de Franco et les pressions actuelles

Madrid – La position de l’Espagne vis-à-vis d’Israël n’est pas le fruit du hasard ni le résultat d’une crise politique récente à Tel-Aviv. Elle est le produit d’un parcours long et complexe, où s’entrecroisent histoire politique, culture, géographie et diplomatie internationale. De l’époque de Franco et de ses liens controversés avec Hitler et Mussolini, à la transition démocratique après 1975, jusqu’à la reconnaissance tardive d’Israël en 1986, puis de la Palestine en 2024, se dessine un tableau complet expliquant pourquoi Madrid est aujourd’hui en première ligne en Europe dans la critique des politiques israéliennes.

L’héritage de Franco… Isolement européen et ouverture au monde arabe

De 1939 à sa mort en 1975, le général Franco a dirigé l’Espagne d’une main de fer. Ses relations étroites avec l’Axe nazi-fasciste ont isolé le pays en Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale, bien que Madrid ne se soit pas officiellement engagée dans les combats. Israël, de son côté, s’est opposé à l’adhésion de l’Espagne à l’ONU en raison de ces liens.

Pour sortir de cet isolement, Franco a ouvert Madrid au monde arabe : des relations fortes avec l’Égypte, le Maroc et l’Arabie saoudite, motivées par la stratégie pétrolière après la décision de l’OPEP en 1973. Dans ce contexte, l’Espagne s’est rapprochée des causes arabes et s’est éloignée de Tel-Aviv.

«L’Espagne sous Franco n’était pas amie avec les Juifs, elle a plutôt fondé ses alliances sur des intérêts avec les Arabes. Cet héritage historique a marqué durablement sa mémoire politique.»

La transition démocratique et le rôle de médiateur

Avec la mort de Franco, l’Espagne est entrée dans une phase de transition vers la démocratie. Elle a rejoint l’OTAN en 1982 et le Marché commun européen en 1986. Mais l’un des préalables à son intégration était la reconnaissance d’Israël. Ainsi, Madrid est devenue la dernière capitale européenne à franchir ce pas, mais sous des conditions claires : insister sur les droits des Palestiniens et rejeter l’annexion des territoires occupés en 1967.

Cette reconnaissance tardive n’a pas empêché l’Espagne de jouer un rôle de médiateur. La conférence de Madrid pour la paix en 1991 a constitué un tournant, montrant la volonté de Madrid de servir de «pont» entre les Arabes et Israël. Toutefois, la relation avec Tel-Aviv restait tributaire de la nature du gouvernement : la droite conservatrice plus proche d’Israël, la gauche socialiste plus critique et plus solidaire des Palestiniens.

La société espagnole… Pression populaire et municipales

La politique étrangère espagnole ne peut être comprise en dehors du peuple. De Barcelone à Madrid et Séville, les manifestations répétées témoignent de la solidarité avec les Palestiniens. Les syndicats et municipalités ajoutent un poids supplémentaire :

  • La mairie de Barcelone a rompu ses relations avec Israël pour protester contre la guerre à Gaza.

  • Le syndicat des travailleurs portuaires de Catalogne a refusé de traiter avec tout navire lié à l’armement israélien.

  • La flotte de «Solidarité», partie de Barcelone pour briser le blocus de Gaza, a constitué un symbole fort.

Cette pression interne explique l’audace des gouvernements de gauche à adopter des positions confrontatrices avec Israël, sachant que l’opinion publique soutiendra ces mesures.

La reconnaissance de la Palestine en 2024… Un tournant décisif

En mai 2024, le gouvernement de Pedro Sánchez a officiellement reconnu l’État de Palestine et Jérusalem-Est comme capitale, faisant de l’Espagne l’un des premiers pays européens à franchir cette étape. La décision n’était pas seulement symbolique ; elle a été suivie de mesures concrètes :

  • Interdiction complète du commerce d’armes avec Israël : ni vente ni achat.

  • Refus de passage pour les navires transportant armes ou carburant militaire à destination de Tel-Aviv via les ports espagnols.

  • Interdiction d’entrée sur le territoire espagnol pour les personnes impliquées dans des crimes de guerre à Gaza.

  • Interdiction d’importation de produits issus de colonies illégales.

«La reconnaissance de la Palestine n’est pas seulement symbolique, c’est un engagement moral et politique pour arrêter le massacre et ouvrir la voie à une solution à deux États.» — Pedro Sánchez

Ces mesures ont placé Madrid en confrontation directe avec Tel-Aviv, qui a répondu par des sanctions diplomatiques, y compris des restrictions sur le fonctionnement du consulat espagnol à Jérusalem.

Un contexte historique récurrent : de 2006 à 2025

Ce n’est pas la première fois que Madrid s’écarte de la ligne européenne dominante. Pendant la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, le Premier ministre José Luis Rodríguez portait le keffieh palestinien, critiquant l’attaque israélienne. En 2014, le Parlement espagnol a adopté une résolution non contraignante en faveur de la reconnaissance de la Palestine.

Depuis 2023, cependant, la situation diffère par son ampleur et sa fermeté : l’Espagne ne se contente plus de déclarations, elle traduit ses positions en décisions politiques et économiques, obligeant l’Union européenne à repenser sa posture face au conflit.

Dimension culturelle et géographique… L’Andalousie comme mémoire vivante

L’histoire longue de l’Andalousie, où se sont mêlées cultures arabes, islamiques et identité espagnole, reste fortement présente dans la conscience collective. Cet héritage pousse une large partie de la société espagnole à s’identifier aux causes arabes et palestiniennes davantage que d’autres populations européennes.

La proximité géographique avec le Maroc et l’Afrique du Nord rend l’Espagne particulièrement sensible aux équilibres méditerranéens et à la nécessité d’éviter la marginalisation de la cause palestinienne.

Questions de recherche pour un approfondissement journalistique

  • L’héritage de Franco et ses liens avec l’Axe nazi constituent-ils une cause à long terme de la position espagnole vis-à-vis du mouvement sioniste et d’Israël ?

  • Dans quelle mesure la pression populaire, les syndicats et les municipalités ont-ils influencé la décision de reconnaître la Palestine ?

  • L’Espagne peut-elle supporter les conséquences économiques de l’interdiction des ventes d’armes et des accords de défense avec Israël ?

  • Quel sera l’impact de cette politique sur la position de Madrid au sein de l’Union européenne et de l’OTAN ?

  • L’Espagne peut-elle passer de simple exception européenne à un modèle de politique étrangère alternative au Moyen-Orient ?

Conclusion : vers un journalisme historique

Suivre la position espagnole vis-à-vis d’Israël montre qu’il ne s’agit pas d’un choix politique conjoncturel, mais de l’extension d’un long parcours historique mêlant héritage culturel, isolement post-Seconde Guerre mondiale et rôle de médiateur au Moyen-Orient.

Aujourd’hui, alors que l’Europe adopte souvent une posture hésitante, l’Espagne se distingue comme une voix claire, exigeant l’arrêt des violences et la responsabilité d’Israël devant le droit international.

«L’Espagne ne se contente plus d’être un pont entre Arabes et Israéliens… elle a choisi d’être une voix morale face au silence des autres.»

Le journalisme d’investigation reste ouvert sur ce parcours : archives, procès-verbaux gouvernementaux et voix de l’opinion publique espagnole sont autant de fils à suivre pour comprendre l’image complète d’un pays qui a décidé de nager à contre-courant européen.

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