Une réalisation architecturale impressionnante
Le Maroc a réussi un exploit remarquable en rénovant et reconstruisant le Complexe Prince Moulay Abdellah de Rabat en seulement 14 mois. Ce chantier colossal a hissé l’enceinte parmi les meilleurs stades du continent, destinée à devenir un haut lieu des grandes compétitions internationales. La première rencontre officielle, opposant la sélection marocaine au Niger, a marqué l’ouverture de cette arène flambant neuve, sous les yeux de dizaines de milliers de supporters.
Une réussite qui a redonné au pays la fierté de posséder des infrastructures sportives aux standards mondiaux.
Cependant, derrière la splendeur de l’ouvrage, le contraste fut saisissant : couverture médiatique terne, analyses télévisées sans profondeur, et un constat amer largement relayé : « Faut-il aussi un ministre pour l’audiovisuel, comme on a Lekjaa pour le football et Lyacoubi pour la sécurité ? »
Un public en liesse… étouffé par un chaos organisationnel
Si le stade a suscité l’admiration, l’expérience vécue par les supporters fut tout autre. Dès l’accès aux enceintes, des milliers de fans se sont retrouvés piégés dans des goulots d’étranglement aux portes d’entrée et de sortie. Trois passerelles rudimentaires, pour canaliser près de 70 à 75 000 spectateurs, ont suffi à transformer la fête en calvaire : embouteillages humains, évanouissements, suffocations et interventions d’urgence médicale.
Des témoignages et vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont révélé des scènes choquantes : des supporters ayant mis plus d’une heure à quitter les lieux après la fin du match, en raison de couloirs étroits, d’indications mal placées et d’un manque criant de coordination entre sécurité, logistique et encadrement du public.
Les causes d’un fiasco organisationnel
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Un engouement massif : toutes les places ont été écoulées en quelques heures, annonçant une affluence record.
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Un système de contrôle défaillant : bien que la Fédération royale ait diffusé un tutoriel expliquant le processus numérique d’accès (billet électronique, bloc, rang, siège), le dispositif n’a pas tenu face au flux massif.
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Des fouilles excessives et mal gérées : malgré des dispositifs technologiques (caméras intelligentes, inspection préalable par les autorités), la fluidité des contrôles a été compromise.
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Un déficit d’accompagnement : le délai d’entrée annoncé de quatre heures s’est avéré insuffisant et mal géré, plongeant une partie du public dans la confusion et l’improvisation.
Une prouesse à quel prix ?
Sur le plan architectural, la réussite est indéniable. La FIFA elle-même a décrit le stade comme « l’une des plus belles œuvres architecturales de la planète ». En un temps record, le Maroc a bâti une vitrine sportive destinée non seulement à la CAN 2025 mais aussi à la Coupe du Monde 2030.
Pourtant, cette démonstration de modernité a mis en lumière une fragilité inquiétante : la gestion des foules. Ce qui devait être un triomphe national a frôlé la tragédie.
Pourquoi cet échec malgré une préparation titanesque ?
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Des priorités contradictoires : alors que le stade a été livré en un temps record, le chantier du nouvel hôpital Ibn Sina accuse toujours du retard, révélant un déséquilibre dans les choix stratégiques.
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L’absence de scénarios de crise : la dépendance excessive aux technologies d’accès a négligé la nécessité de voies de délestage en cas de saturation.
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Un manque d’expérience pratique : la rencontre Maroc–Niger, censée servir de test, a exposé les failles d’un dispositif dépourvu de gestion de terrain.
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Une couverture médiatique décalée : les moyens investis dans la communication n’ont pas compensé la carence organisationnelle.
Des mesures urgentes avant le pire
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Repenser totalement le schéma des accès avec des portes larges et des couloirs sécurisés.
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Multiplier les points d’entrée et de sortie afin d’éviter les goulots d’étranglement.
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Renforcer la présence humaine avec des équipes de coordination et de premiers secours visibles.
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S’inspirer de modèles internationaux de gestion de stades à grande affluence.
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Exiger une réaction des autorités face à la pression populaire et médiatique, pour restaurer la confiance.
Conclusion
L’inauguration du Complexe Moulay Abdellah restera une prouesse architecturale qui inscrit le Maroc dans une nouvelle ère sportive. Mais sans une gestion organisationnelle à la hauteur, cette réussite pourrait rapidement tourner au cauchemar collectif.
La fête de l’ouverture a soulevé une question de fond : à quoi bon bâtir l’un des plus beaux stades du monde si le supporter marocain risque sa sécurité simplement pour entrer ou sortir ?
L’architecture de rêve ne suffit pas. Elle doit être accompagnée d’un encadrement moderne, humain et professionnel, afin que le stade incarne réellement l’orgueil national et non la crainte d’une catastrophe annoncée.