jeudi, octobre 2, 2025
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Les migrants subsahariens au Maroc : une crise silencieuse qui s’aggrave entre fragilité locale et pression internationale

Ces dernières années, la question des migrants originaires d’Afrique subsaharienne est devenue l’un des dilemmes sociaux et politiques les plus complexes auxquels le Maroc est confronté. Alors que Rabat se présente comme un pays de transit et un partenaire stratégique de l’Union européenne dans la gestion des flux migratoires, les villages et petites villes marocaines vivent au quotidien des scènes tout aussi graves que celles liées aux crises alimentaires, au logement ou à l’emploi.

Il ne s’agit pas seulement d’immigration irrégulière, mais d’un dysfonctionnement structurel dans la gestion d’un dossier humain sensible, où s’entrecroisent dimensions sécuritaires et économiques, considérations humanitaires et pressions diplomatiques, dans un contexte de tensions sociales croissantes face à la présence des migrants, et face à un silence officiel qui inquiète davantage qu’il ne rassure.

Des rues arrière à l’espace public : le quotidien des migrants entre invisibilité et rejet affiché

Il suffit de se promener dans des quartiers comme le Souissi à Rabat, dans les gares de Fès et Tanger, ou dans les marchés hebdomadaires de petites villes comme Khénifra ou Taza, pour mesurer l’ampleur du changement démographique. Des milliers de migrants, en majorité des jeunes, occupent les places et les rues, vendent des marchandises de fortune ou survivent grâce à l’aide humanitaire.

Mais ce qui semble n’être qu’une simple “présence humaine” cache en réalité des défis sécuritaires et sociaux cumulés :

  • montée des tensions avec la population locale, qui estime que les services de santé et d’assistance sociale – déjà insuffisants – sont saturés au-delà de leurs capacités ;

  • apparition de réseaux parallèles de l’économie informelle, parfois contrôlés par des migrants profitant de la précarité pour dominer certains secteurs (revente de téléphones d’occasion, petits services manuels) ;

  • crainte croissante de voir certains quartiers se transformer en “ghettos fermés”, rappelant les modèles observés dans les banlieues de Paris ou Bruxelles.

Ces indicateurs traduisent que le Maroc, sans l’admettre officiellement, est en train de se transformer d’un pays de transit en pays d’installation forcée pour les migrants – une mutation pour laquelle aucune préparation n’a été faite, ni sur le plan juridique ni en matière d’infrastructures.

Le soutien international : entre discours humanitaire et enjeu sécuritaire

Depuis 2013, le Maroc a lancé des programmes de régularisation de milliers de migrants avec l’appui de l’Union européenne, qui considère le royaume comme le “gendarme des frontières sud” du continent. Mais derrière les slogans de “coopération” et “d’intégration”, le financement européen demeure conditionné par un objectif unique : réduire les flux migratoires vers le Nord.

L’UE injecte des millions d’euros dans des projets de formation et de qualification, mais en réalité, cela vise surtout à maintenir les migrants au Maroc plutôt qu’à les empêcher d’atteindre Sebta, Melilla ou les côtes espagnoles. D’où la question centrale :
Le Maroc est-il un véritable partenaire dans une approche humanitaire et de développement ? Ou n’est-il qu’un maillon d’une chaîne sécuritaire visant à protéger les frontières européennes ?

Le paradoxe est que ces fonds ne se traduisent pas par une amélioration tangible ni pour les migrants ni pour les citoyens marocains. Ils se diluent souvent dans des budgets opaques, ou financent des séminaires et projets pilotes à l’impact limité. Résultat : un sentiment croissant, tant chez les migrants que chez les Marocains, d’être instrumentalisés dans un jeu international qui ignore leur dignité et leurs droits.

Villages et petites villes sous pression : une fragilité décuplée

Si la forte présence de migrants dans les grandes villes s’explique par la proximité des réseaux de transport international, le transfert de groupes entiers vers des localités reculées suscite une vive controverse.

À plusieurs reprises, les autorités ont réparti des migrants vers des zones intérieures comme Tifelt, Mrirt ou Kasba Tadla, pour désengorger Tanger et Rabat. Mais ce choix est perçu localement comme un “déplacement forcé interne”, qui aggrave les déséquilibres alimentaires et économiques dans ces régions.

  • Ces villages vivent déjà dans une pauvreté structurelle, et avec des infrastructures de santé et d’éducation limitées, l’accueil de dizaines de migrants suffit à créer une situation explosive.

  • Les associations locales, malgré leurs efforts, manquent de moyens financiers et de compétences pour accompagner ces changements.

  • Les migrants eux-mêmes se retrouvent isolés des réseaux de soutien, sans emploi ni réelle perspective d’intégration.

Conséquence : de nouveaux foyers de tension sociale émergent, non seulement en prolongeant la crise, mais en l’élargissant à un espace géographique plus vaste.

Le discours officiel et un silence coûteux

Fait surprenant, le gouvernement marocain ne publie aucun chiffre officiel précis sur le nombre de migrants subsahariens, ni sur l’ampleur du financement international consacré à ce dossier. Ce silence laisse le champ libre aux rumeurs et alimente une défiance accrue entre citoyens et autorités.

Le paradoxe est que, sur la scène internationale, le Maroc met en avant une “politique migratoire humaniste” et cite ses programmes de régularisation et d’intégration. Mais sur le terrain, il applique une approche hybride : répression aux frontières, tolérance en ville, et redistribution aléatoire dans les campagnes.

Cette opacité soulève des questions légitimes :

  • Le Maroc redoute-t-il d’avouer qu’il est devenu, sous pression européenne, un “immense camp” pour migrants ?

  • Dispose-t-il réellement d’une stratégie nationale cohérente sur la migration, ou se limite-t-il à des “réactions circonstancielles” pour calmer l’inquiétude de ses partenaires internationaux ?

La dimension économique : d’un fardeau à une opportunité manquée

Il ne fait aucun doute que la présence de milliers de migrants pèse sur un marché du travail déjà fragile au Maroc. La concurrence sur les métiers de base (bâtiment, agriculture, services domestiques) crée des tensions directes avec la main-d’œuvre locale. Mais d’un autre côté, cette présence pourrait être une opportunité pour élaborer des politiques d’intégration productives, à l’image de ce qu’ont fait le Canada ou l’Allemagne.

Or, l’absence de vision transforme le potentiel en fardeau :

  • absence de programmes sérieux d’apprentissage linguistique et de formation professionnelle pour les migrants ;

  • manque de mécanismes de contrôle du marché du travail pour éviter leur exploitation dans l’économie informelle ;

  • absence de partenariats réels avec leurs pays d’origine pour bâtir des passerelles économiques bilatérales.

Ainsi, les migrants restent coincés dans une “zone grise” : incapables de s’intégrer, rejetés par la population, et perçus comme un poids. Pendant ce temps, le Maroc perd l’occasion de tirer profit de ressources humaines qui pourraient contribuer au développement si elles étaient bien mobilisées.

Leçons ignorées et risques à venir

Le Maroc n’est pas le premier pays confronté à ce défi. L’expérience internationale montre que la gestion migratoire ne peut pas reposer uniquement sur une logique sécuritaire. La France elle-même, malgré ses moyens, connaît des problèmes d’isolement dans ses banlieues. L’Italie et la Grèce sont devenues des “réservoirs humains” en vertu d’accords avec l’UE.

Aujourd’hui, le Maroc répète les mêmes erreurs, mais dans un contexte plus fragile :

  • infrastructures de santé et d’éducation déficientes ;

  • taux de chômage élevés, notamment chez les jeunes ;

  • crise de confiance aggravée entre citoyens et État.

Tous ces facteurs font du dossier migratoire une bombe sociale à retardement. Sans une stratégie claire et de long terme, le pays risque de connaître des tensions ethniques, la montée du crime organisé, et même un isolement international en cas de dérapage dramatique.


Conclusion : vers une vision alternative

La question n’est pas de “rejeter les migrants” ni de “craindre l’autre”, mais bien un appel à repenser les politiques publiques. Il faut :

  1. Transparence dans les chiffres et les données, pour que citoyens et communauté internationale mesurent l’ampleur réelle du défi.

  2. Institutionnalisation du soutien international, dirigé directement vers des projets de développement local dont bénéficient à la fois les habitants et les migrants.

  3. Stratégie d’intégration productive, axée sur l’éducation, la formation et l’insertion dans le marché du travail formel.

  4. Implication de la société civile, avec des moyens renforcés pour en faire un acteur réel et non un simple relais symbolique.

  5. Un discours officiel clair, qui expose aux citoyens comme aux migrants la réalité des choix disponibles, au lieu de se contenter de slogans.

Ce qui se joue aujourd’hui au Maroc n’est pas seulement un “dossier migratoire”, mais un miroir révélateur de la profondeur de la crise des politiques publiques en matière de sécurité alimentaire, sociale et économique. Et la communauté internationale, si elle veut réellement aider, doit regarder le Maroc non comme un simple “rempart pour l’Europe”, mais comme un pays ayant besoin d’un partenariat de développement équitable qui respecte la dignité de ses citoyens autant que celle des migrants qui frappent à ses portes.

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