Quand la justice devient levier diplomatique et pilier de souveraineté régionale
Le jeudi 19 juin 2025 à Rabat, M. Mohamed Abdennabaoui, Premier Président de la Cour de cassation et Président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), a reçu Mme Joana Gomes Rosa Amado, Ministre de la Justice de la République du Cap-Vert. Cette visite s’inscrit dans une dynamique plus large de diplomatie judiciaire portée par le Maroc, visant à positionner le Royaume comme un acteur de référence dans l’architecture judiciaire du continent africain.
La justice marocaine : un modèle d’inspiration pour l’Afrique de l’Ouest ?
Au cours de cette rencontre institutionnelle, M. Abdennabaoui a présenté les grandes lignes de la réforme du pouvoir judiciaire marocain, axée sur l’indépendance effective de la magistrature, la numérisation des procédures judiciaires, la moralisation de la vie publique et la formation continue des magistrats.
Mme la Ministre cap-verdienne a, pour sa part, exposé les caractéristiques du système judiciaire de son pays, les compétences du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que les chantiers en cours pour renforcer l’efficacité et l’autonomie de la justice.
Peut-on entrevoir à travers cette rencontre le début d’un processus de coopération structurée entre États africains en matière judiciaire ?
Le Maroc cherche-t-il à exporter son modèle de gouvernance judiciaire comme outil d’influence et de rayonnement régional ?
Le défi continental : vers une architecture judiciaire africaine partagée ?
Les rapports du PNUD, de l’Union Africaine et de la Banque Mondiale soulignent régulièrement les fragilités des systèmes judiciaires dans plusieurs pays africains : lenteur des procédures, manque d’indépendance, déficit de formation, ou encore pression politique.
Dans ce contexte, l’initiative marocaine de coopération bilatérale, notamment avec des pays à taille moyenne comme le Cap-Vert, pourrait devenir un laboratoire pour un réseau judiciaire africain, fondé sur le transfert de compétences, la formation croisée, et l’harmonisation partielle des normes procédurales.
Une diplomatie du droit au service d’une Afrique souveraine
Cette rencontre ne doit pas être lue uniquement sous l’angle institutionnel, mais également comme une manifestation d’une stratégie africaine du Maroc, où la justice devient un outil de consolidation des liens Sud–Sud, au même titre que l’économie, la sécurité ou la culture.
Elle fait également écho aux recommandations de l’UNESCO sur l’importance de bâtir des systèmes judiciaires indépendants, accessibles et adaptés aux défis spécifiques des pays du Sud, notamment face à la criminalité transnationale, à la cybercriminalité, ou encore à la corruption structurelle.
Le Maroc pourrait-il devenir un hub judiciaire africain, à l’instar de son rôle croissant dans la formation des imams ou dans la sécurité régionale ?
Conclusion : vers une communauté judiciaire africaine ?
L’entretien entre M. Abdennabaoui et Mme Amado illustre le potentiel d’un partenariat stratégique judiciaire africain, encore en construction mais aux contours prometteurs. Pour qu’il se concrétise, plusieurs conditions s’imposent :
-
Créer un cadre juridique bilatéral de coopération technique et institutionnelle ;
-
Favoriser la mobilité des magistrats et des formateurs judiciaires ;
-
Intégrer les nouvelles technologies dans les systèmes de justice pour renforcer leur transparence et efficacité ;
-
Renforcer la coopération triangulaire, en lien avec les institutions européennes et internationales.
Le Maroc, en tant que pays pionnier dans la réforme de son système judiciaire, se positionne ainsi comme un passeur de savoirs et de bonnes pratiques, au service d’une justice africaine plus forte, plus équitable et plus souveraine.
