Le 19 juin 2025, le Conseil d’Administration de Maroc Telecom a entériné une réforme majeure de sa gouvernance, adoptée la veille par l’Assemblée Générale Extraordinaire. Il s’agit du passage d’un modèle dualiste – composé d’un Conseil de Surveillance et d’une Direction Générale – à un modèle moniste, régi par un Conseil d’Administration unique, conformément aux dispositions juridiques en vigueur au Maroc.
Tous les membres du Conseil de Surveillance ont été reconduits en tant qu’administrateurs dans la nouvelle configuration, garantissant ainsi une transition fluide et une continuité stratégique. Dans la foulée, le Conseil d’Administration a reconduit Mohamed Benchaâboun au poste de Directeur Général du groupe, qu’il occupait déjà auparavant en tant que Président du Directoire.
Mais ce changement de structure pose de nombreuses questions essentielles :
Est-ce un simple ajustement technique visant à rationaliser la prise de décision ? Ou le reflet d’une recentralisation du pouvoir en haut lieu dans un contexte de réorientation stratégique accélérée ?
Un timing qui interroge : contexte marocain et pressions internationales
Ce remaniement s’inscrit dans un contexte plus large de réforme de la gouvernance des établissements publics au Maroc, tel que préconisé par plusieurs institutions nationales et internationales, notamment le Conseil supérieur des comptes, le Conseil économique, social et environnemental, ainsi que des acteurs comme la Banque mondiale et l’OCDE. Ces derniers appellent régulièrement à une meilleure transparence, une reddition de comptes accrue et une professionnalisation des conseils d’administration.
Au niveau international, la tendance post-COVID dans les grandes entreprises est également à la simplification des organes de gouvernance pour répondre aux impératifs de rapidité décisionnelle, sans pour autant compromettre les mécanismes de contrôle.
Maroc Telecom suit-elle donc cette logique globale d’agilité managériale ? Ou s’agit-il d’un cas singulier dicté par des enjeux de pouvoir plus locaux et spécifiques ?
Mohamed Benchaâboun : continuité ou retour stratégique ?
La reconduction de Mohamed Benchaâboun à la tête de Maroc Telecom ne peut être interprétée comme une simple formalité. Ancien ministre des Finances, ambassadeur à Paris, puis directeur du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, il incarne une figure centrale de la technocratie marocaine. Son retour à la tête de l’un des fleurons économiques du Royaume renforce l’idée d’une consolidation des postes stratégiques autour d’un cercle restreint de hauts profils étatiques.
Le nouveau modèle de gouvernance renforcera-t-il les capacités d’innovation et d’investissement de l’opérateur ? Ou perpétuera-t-il une logique verticale de contrôle et d’allégeance institutionnelle ?
Une gouvernance unifiée, mais sous quelles garanties ?
Maroc Telecom affirme vouloir renforcer la performance, l’innovation et la création de valeur, mais aucun détail n’est fourni sur les mécanismes concrets de redevabilité, ni sur l’évaluation périodique des performances du nouveau modèle.
Les expériences internationales montrent que l’unification des structures n’est efficace que si elle est accompagnée :
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de critères clairs d’évaluation des administrateurs,
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de règles de transparence dans les rémunérations et les nominations,
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et d’une ouverture réelle aux parties prenantes externes, notamment les consommateurs et les actionnaires minoritaires.
Cette mutation structurelle sera-t-elle suivie d’un véritable audit d’impact après six ou douze mois ?
Quel rôle pour les organes de contrôle indépendants dans la nouvelle architecture décisionnelle ?
Un enjeu stratégique dans l’économie numérique marocaine
Dans un contexte où le Maroc ambitionne de devenir un hub numérique régional, et où la souveraineté technologique devient un axe central de la diplomatie économique, Maroc Telecom reste un acteur clé. Son rôle dans la couverture territoriale, l’innovation numérique, et la connectivité du monde rural lui confère une responsabilité nationale majeure.
La nouvelle gouvernance permettra-t-elle de relever les défis du numérique inclusif, de la cybersécurité, et de la régulation équitable des marchés ?
Ou contribuera-t-elle à creuser l’écart entre les intérêts corporatistes et les objectifs de service public ?
Conclusion : Entre modernisation structurelle et vigilance citoyenne
Ce changement de gouvernance à Maroc Telecom constitue une opportunité réelle de repenser le rôle stratégique des grandes entreprises publiques dans le Maroc de demain. Mais son succès dépendra moins de la structure formelle que :
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de la qualité des décisions prises,
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de l’intégrité des acteurs impliqués,
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et de la capacité à produire des résultats mesurables en matière de digitalisation, inclusion et performance sociale.
Loin d’être un simple ajustement organisationnel, ce basculement interroge sur le type de gouvernance économique que le Maroc entend promouvoir à l’horizon 2030.