Au cœur des tensions politiques et sociales qui secouent l’Algérie, la question de la Kabylie s’impose aujourd’hui comme l’un des dossiers les plus sensibles. La dynamique de “l’indépendance symbolique” menée par le Gouvernement provisoire kabyle en exil, en étroite collaboration avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), semble prendre une tournure plus structurée, tandis que le régime algérien maintient un silence pesant.
Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui le MAK à intensifier ses actions à Paris, Montréal et New York ? Ces mobilisations internationales marquent-elles un tournant décisif vers une sécession possible ? Et quel est le rôle du Maroc dans ce contexte, alors que les autorités algériennes l’accusent régulièrement de soutenir ce mouvement ?
Une stratégie vers la reconnaissance internationale ?
Le 20 avril 2024, Ferhat Mehenni, leader du MAK, a proclamé “l’existence de l’État kabyle” devant le siège des Nations unies à New York. Un geste à portée symbolique certes, mais politiquement fort. À la mi-juin 2025, deux journées portes ouvertes sont prévues à Paris (le 14 juin) et à Montréal (le 15 juin), pour faire connaître “l’État kabyle” aux délégations diplomatiques et aux ONG.
L’objectif est clair : passer de la dénonciation à la construction institutionnelle, et légitimer la cause kabyle dans les enceintes internationales.
Mais cette stratégie suffira-t-elle sans appui étatique ni reconnaissance onusienne ? Peut-elle durablement se substituer aux réalités géopolitiques et institutionnelles qui maintiennent la Kabylie dans le giron algérien ?
Une volonté populaire ou élite en exil ?
Selon Hanifi Ferhouh, “Premier ministre” du Gouvernement kabyle en exil, la rupture entre la Kabylie et l’État algérien est déjà actée par le peuple kabyle, notamment par son refus systématique de participer aux scrutins présidentiels, législatifs et locaux.
Il ne s’agirait donc plus d’un simple boycott, mais d’un divorce politique déclaré.
Une rupture qui rappelle des précédents comme ceux du Kosovo ou du Sud-Soudan. Mais une question reste en suspens : le MAK incarne-t-il réellement l’ensemble du peuple kabyle ? Ou ne s’agit-il que d’un projet porté par une frange militante en diaspora ?
L’État algérien entre déni et autoritarisme
En qualifiant le MAK de mouvement “terroriste”, les autorités algériennes évitent tout débat sur le fond. Cette posture traduit une double impasse : une impasse sécuritaire face à l’essoufflement du dialogue national, et une impasse politique dans un régime marqué par la confusion institutionnelle et les luttes de clans.
Dans ce contexte, les propos d’Aksel Belaabbaci, conseiller politique du MAK, sont révélateurs. Acquitté récemment à Paris, il promet que l’indépendance sera proclamée avant fin 2025, dénonçant la répression continue contre les Kabyles.
Quel rôle pour le Maroc ?
Depuis 2021, lorsque l’ambassadeur du Maroc à l’ONU a évoqué le “droit à l’autodétermination du peuple kabyle”, les relations entre Rabat et Alger sont entrées dans une spirale de tensions. L’Algérie a même invoqué cette déclaration comme motif officiel pour rompre les relations diplomatiques.
Mais la situation kabyle agit ici comme un miroir inversé de la question du Sahara occidental, avec une différence notable : la Kabylie représente une réalité démographique et culturelle interne à l’Algérie, avec une opposition populaire déjà bien ancrée.
Dès lors, la question se pose :
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Le Maroc exploite-t-il cette dynamique pour renforcer sa propre position sur le dossier du Sahara ?
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Et la communauté internationale applique-t-elle une politique à géométrie variable en matière de droit des peuples ?
Un contexte international changeant
Des rapports d’organisations telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch dénoncent régulièrement les atteintes aux libertés en Algérie, y compris les restrictions imposées aux militants kabyles. Ces constats renforcent la légitimité du discours du MAK auprès des ONG.
Mais sans appuis diplomatiques solides ni coalition d’États alliés, la reconnaissance d’un État kabyle reste hautement improbable à court terme.
Conclusion ouverte :
La crise kabyle reflète une fragilité profonde du modèle national algérien. Dans un pays qui peine à intégrer sa diversité culturelle et politique, le risque d’explosion devient tangible.
L’Algérie est-elle prête à ouvrir un dialogue véritable ? Ou glisse-t-elle inexorablement vers une fragmentation interne qui remettra en cause sa stabilité régionale ?