Entre la fumée de ses cigarettes pendant les matchs de la sélection nationale et la fumée des interrogations autour de son ascension, le nom de Fouzi Lekjaa s’impose aujourd’hui comme l’une des figures les plus influentes – et controversées – du paysage politique et sportif marocain.
Présenté parfois comme un « fonctionnaire simple et modeste », il concentre pourtant entre ses mains des leviers de pouvoir multiples : directeur du budget au ministère des Finances, président de la Fédération Royale Marocaine de Football, acteur clé dans la CAF et la FIFA, parlementaire, et stratège de la diplomatie sportive du royaume. Une telle concentration n’est-elle que le fruit du mérite personnel ? Ou sommes-nous face à un cas d’école de fabrication d’une autorité douce déguisée en réussite sportive ?
Quand la réussite de la RS Berkane masque la structure du pouvoir
La RS Berkane, club autrefois marginalisé dans la géographie du football marocain, brille désormais au niveau continental, avec un titre de la Coupe de la CAF et une première consécration nationale.
Mais faut-il y voir une victoire du sport ou la consécration d’un modèle façonné sur mesure par et pour Lekjaa ? Le club est-il indépendant ou le prolongement d’une architecture de pouvoir, soutenue par l’accès à des budgets publics et des leviers institutionnels ?
Entre argent public et ballon rond : un mélange dangereux ?
Lekjaa incarne aujourd’hui une zone grise entre gouvernance publique et gestion sportive. Il est à la fois ordonnateur de dépenses publiques et bénéficiaire de projets sportifs financés par ces mêmes fonds. Où commence le conflit d’intérêts, et où finit la redevabilité ?
Qui contrôle qui ? Et qui rend des comptes ?
La diplomatie footballistique : une vitrine qui détourne l’attention ?
Depuis la candidature du Maroc au Mondial 2026 jusqu’à celle, triomphante, du Mondial 2030, la diplomatie marocaine s’est appuyée sur l’image du football pour s’affirmer. Cette stratégie, coordonnée en grande partie par Lekjaa, a redonné prestige et fierté à la nation.
Mais à quel prix ?
Le football est-il devenu un outil de légitimation politique silencieuse ? Et cette popularité, souvent confondue avec l’approbation populaire, ne sert-elle pas à brouiller les lignes de la responsabilité politique et financière ?
Quand les victoires deviennent des boucliers contre la critique
Toute voix critique s’expose aujourd’hui à une riposte émotionnelle : “Regardez les résultats, taisez-vous !”
Mais les résultats justifient-ils tout ? Les titres continentaux effacent-ils les interrogations sur la gestion ? Le succès sportif exonère-t-il du débat public ?
Un modèle personnel ou un symptôme d’une architecture du pouvoir ?
Au-delà du cas individuel de Lekjaa, c’est le modèle politique de gouvernance du sport qui mérite réflexion. Nous assistons à une fusion dangereuse entre les sphères politiques, administratives et sportives.
Sommes-nous face à un nouveau prototype du “technocrate à légitimité sportive” ? Ou à un recyclage des élites dans un secteur où l’émotion collective remplace l’analyse rationnelle ?
Conclusion : un débat qui ne fait que commencer
Le Maroc a besoin de désacraliser les figures publiques pour mieux analyser les structures qu’elles représentent. Le football, passion nationale, ne doit pas devenir un terrain d’immunité politique ou financière.
Fouzi Lekjaa n’est pas simplement un dirigeant de club. Il est le miroir d’une époque, et à ce titre, son parcours doit être interrogé non pas en termes de louange ou de condamnation, mais à travers le prisme de la gouvernance, de l’éthique publique et de l’équité institutionnelle.