Lors de son point de presse hebdomadaire, le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Mustapha Baitas, a réaffirmé que le gouvernement actuel se considère comme un “gouvernement social”. Mais que cache réellement cette affirmation ? Et ces chiffres impressionnants sur les fonds mobilisés sont-ils les signes d’un véritable changement structurel ou simplement des réponses conjoncturelles à des crises successives ?
De la justice au soutien : mutations sémantiques ou transformations profondes ?
Le ministre a ouvert son intervention par l’évocation de la réforme de la justice, qu’il qualifie de prioritaire et placée sous le haut patronage du Roi Mohammed VI. Mais peut-on réellement parler de réforme profonde lorsqu’il s’agit principalement de changements de terminologie – comme renommer les “traducteurs assermentés près les tribunaux” – ou d’élargissement des critères d’accès à certaines professions ?
Cela soulève une interrogation plus large : le gouvernement agit-il selon une vision stratégique globale, ou poursuit-il une approche sectorielle, technocratique et fragmentée ?
Des milliards de dirhams pour le “soutien”… mais pour quel impact réel ?
Baitas a annoncé des chiffres considérables : 105 milliards de dirhams pour le soutien aux produits de base, 46 milliards pour le dialogue social, 10 milliards pour le régime « AMO Tadamoun », 4 milliards pour le soutien au logement… Des montants indéniablement significatifs. Mais quelle est leur efficacité réelle dans la réduction de la pauvreté et des inégalités ?
Ces aides sont-elles utilisées pour asseoir une légitimité sociale à court terme, ou s’inscrivent-elles dans une stratégie de transformation structurelle ? Plusieurs rapports, comme ceux de la Banque mondiale ou du Conseil supérieur des comptes, mettent en garde contre une approche basée uniquement sur les transferts monétaires, sans investissement soutenu dans l’éducation, la création d’emplois et la réduction des disparités territoriales.
Une couverture santé élargie… mais à quel prix ?
Le ministre s’est félicité de l’élargissement de la couverture santé à 11 millions de citoyens via le régime « AMO Tadamoun », contre à peine 11% de la population auparavant via le RAMED. Un progrès, certes, sur le plan de l’accès. Mais peut-on parler de véritable égalité sans amélioration des infrastructures, du personnel médical et de la qualité des soins ? Des institutions comme l’UNESCO ou l’OMS soulignent que la quantité ne peut se substituer à la qualité.
Un contexte politique et international révélateur
Cette offensive communicationnelle intervient dans un contexte national et international tendu : hausse des prix de l’énergie, stress hydrique, vulnérabilité agricole… Le gouvernement cherche-t-il à projeter une image de “modèle social marocain” devant les bailleurs internationaux et partenaires diplomatiques ? Est-ce une tentative d’anticiper les critiques sociales internes avant les prochaines échéances électorales ou diplomatiques majeures ?
Vers une victoire sociale marocaine… ou une stabilisation fragile ?
Soutien aux veuves, couverture santé élargie, programmes d’aide au logement… Voilà les éléments d’une narration optimiste du gouvernement. Mais la véritable victoire réside-t-elle dans l’annonce de ces chiffres, ou dans leur capacité à transformer durablement les conditions de vie des citoyens ?
Ne faudrait-il pas aller plus loin et articuler ces aides à une dynamique économique inclusive, notamment en renforçant le capital humain dans les zones marginalisées ?
Conclusion ouverte : entre stratégie sociale et achat de paix sociale
Cette communication gouvernementale peut être lue comme un effort de stabilisation sociale dans un contexte difficile. Mais sans réforme structurelle en profondeur – dans la justice, la santé, l’éducation et l’emploi – ces initiatives risquent de rester temporaires et limitées.
Le gouvernement est-il prêt à instaurer un nouveau contrat social, plus équitable et pérenne ? Ou continuera-t-il de gérer les urgences à coups de milliards, au risque de créer une dépendance structurelle déguisée ?