La liberté locale à l’épreuve de la tutelle centrale
Lorsque le groupe du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) à la Chambre des représentants a renouvelé son appel à « libérer les collectivités territoriales de la tutelle », une vieille question a ressurgi : peut-on réellement parler d’autonomie locale alors que le ministère de l’Intérieur continue de contrôler les grandes décisions administratives et financières ? Et à quoi servent les élections locales si les élus demeurent soumis à l’autorité d’un représentant de l’État central ?
Ce débat, relancé à l’occasion de la discussion du projet de loi 14.25 relatif à la fiscalité des collectivités territoriales, ouvre la voie à une réflexion de fond : sommes-nous face à une décentralisation effective ou à une démocratie locale vidée de sa substance ?
1. La tutelle : héritage administratif ou outil de centralisation ?
En vertu de la loi 47.06, les collectivités territoriales marocaines sont soumises à une double tutelle :
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Tutelle administrative : approbation des délibérations, dissolution des conseils, nomination des walis et gouverneurs.
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Tutelle financière : encadrement strict des dépenses, autorisation préalable pour les emprunts, contrôle de la fiscalité locale.
Même les décisions les plus simples — comme l’ouverture d’un compte bancaire ou la signature d’un partenariat — nécessitent l’approbation du wali. Cela pose une question de fond : comment prétendre à une régionalisation avancée alors que les collectivités sont corsetées par tant de restrictions ?
Historiquement, ce système de tutelle est un héritage du protectorat français, basé sur une profonde méfiance envers l’élu local. Plus de soixante ans après l’indépendance, cette logique persiste, malgré la réforme constitutionnelle de 2011 qui a proclamé la régionalisation avancée comme choix stratégique de l’État.
2. Des élections démocratiques sous surveillance administrative
Pourquoi élire un président de conseil communal si c’est le gouverneur qui décide ?
Les élus locaux se retrouvent souvent dans une position contradictoire : responsables sans véritable pouvoir. Ils conçoivent des projets, proposent des budgets, mais leur sort dépend de l’approbation du représentant de l’État. La démocratie locale devient alors une scène dont le scénario est dicté par l’autorité centrale.
Cas concrets :
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Conseils dissous : plusieurs conseils communaux ont été suspendus ou dissous par décision administrative en 2023, comme celui d’Aïn Chock à Casablanca.
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Budgets bloqués : des projets de développement sont gelés pendant des mois, faute d’approbation.
Le député Rachid Hammouni du PPS l’a souligné : “Il y a des présidents honnêtes qui méritent d’être soutenus, tout comme il y a des élus corrompus. Mais on ne peut pas tous les mettre dans le même panier.”
3. L’illusion de l’autonomie financière
Le projet de loi 14.25 propose d’augmenter la part des collectivités dans la TVA, de 30 % à 32 %. Une avancée importante à première vue, mais qui soulève plusieurs questions fondamentales :
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Est-ce suffisant sans lever la tutelle administrative et financière ?
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Pourquoi le ministère des Finances continue-t-il d’intervenir dans la gestion quotidienne des communes ?
Une contradiction majeure subsiste : les collectivités collectent les impôts, mais n’en contrôlent ni la gestion ni l’affectation. Pire encore, certaines sont contraintes de financer des services hors de leur champ de compétence (écoles, centres de santé) sans contrepartie budgétaire de l’État.
Abderrahim Chahid, président du groupe socialiste, a rappelé que “les collectivités sont parfois appelées à intervenir dans les domaines de la santé ou de l’éducation, en assumant des responsabilités qui incombent normalement aux ministères concernés, sans ressources dédiées”.
Il a ajouté : “À l’approche de la Coupe du monde 2030, la réforme fiscale doit avoir un impact clair sur les grandes villes, mais nous devons aussi nous interroger sur ses effets pour les petites communes rurales, souvent laissées pour compte.”
Conclusion : Pour une vraie régionalisation, il faut libérer le local
La réforme fiscale locale, si elle est nécessaire, ne peut être détachée d’une réforme plus globale du mode de gouvernance territoriale. La régionalisation avancée reste un projet inachevé tant que la tutelle perdure.
Sans une autonomie réelle des collectivités — administrative, financière et politique — les élections locales continueront d’être perçues comme une formalité démocratique, sans incidence réelle sur la gestion des territoires.
La question reste donc entière : le Maroc est-il prêt à faire confiance à ses élus locaux et à relâcher la mainmise du pouvoir central sur la gestion quotidienne des communes ?