Lors d’une séance apparemment ordinaire au Parlement, Zakia Driouch, secrétaire d’État chargée de la pêche maritime, a lâché un chiffre lourd de sens : 29 milliards de dirhams de produits de la mer exportés par le Maroc en 2024, contre seulement 13 milliards en 2010.
Une performance remarquable à première vue. Mais plus que ce qui a été dit, ce sont les non-dits qui interpellent :
-
Si le Maroc exporte autant, pourquoi le poisson devient-il inabordable pour les Marocains ?
-
Si le changement climatique menace les ressources halieutiques, comment expliquer cette expansion ?
-
La stratégie « Halieutis » est-elle un succès structurel… ou une vitrine qui masque de profondes failles ?
Une croissance en surface, un épuisement en profondeur ?
Les données officielles témoignent d’une « progression » spectaculaire :
-
Quantité débarquée passée de 1,14 à 1,42 million de tonnes ;
-
Valeur ajoutée doublée : de 6,7 à 16 milliards de dirhams ;
-
Déploiement de 70 marchés de gros, dont 14 « de nouvelle génération ».
Mais derrière ces chiffres brillants, une réalité plus nuancée : 84 % des captures concernent des espèces pélagiques bon marché (comme la sardine), pendant que les poissons à haute valeur commerciale (thon, poulpe, bar) se raréfient sous la pression de la surexploitation.
Le climat comme bouc émissaire ?
Face aux questions des parlementaires, Driouch a désigné le changement climatique et l’instabilité des conditions maritimes comme principaux freins à la disponibilité du poisson. En somme : les lois du marché prévalent et l’État ne peut qu’accompagner.
Mais une question persiste : Le gouvernement dispose-t-il vraiment d’un plan d’adaptation climatique pour le secteur ? Ou assiste-t-on à une instrumentalisation du climat pour éluder des responsabilités plus profondes ?
Un marché local sous pression malgré les « 70 marchés »
Driouch insiste sur l’élargissement du réseau de distribution, mais dans les faits, les consommateurs marocains continuent de souffrir : prix élevés, rareté de l’offre et qualité parfois douteuse.
Dès lors : Échec dans la régulation du marché intérieur ? Ou priorité délibérée accordée à l’export au détriment du droit alimentaire des citoyens ?
Halieutis : succès vitrine ou miroir aux alouettes ?
Lancée comme une stratégie de redressement, « Halieutis » a certes permis une restructuration du secteur. Mais a-t-elle réellement réglé les problématiques de fond ?
-
La pêche illégale continue de sévir ;
-
Le contrôle dans les ports reste inégal ;
-
Les marins-pêcheurs travaillent dans des conditions précaires.
Peut-on parler de succès quand la chaîne de valeur repose encore sur des déséquilibres systémiques ?
Un chiffre séduisant, une vision encore floue
29 milliards de dirhams. Un chiffre impressionnant pour les rapports… mais insuffisant pour mesurer la santé réelle du secteur.
Car la vraie équation reste à résoudre :Comment équilibrer ambitions exportatrices et sécurité alimentaire nationale ? Comment protéger la ressource tout en dynamisant l’économie ?
Tant que ces questions resteront sans réponse, le miracle pourrait n’être qu’une bulle prête à éclater.