Dans une initiative remarquable qui reflète l’évolution des outils de plaidoyer marocains sur la question du Sahara, l’Observatoire National des Études Stratégiques (ONES) a annoncé le lancement d’un concours de recherche destiné aux étudiants en master et doctorat, autour du thème : « La demande de classification des milices du Polisario comme organisation terroriste ».
Cette démarche ne relève pas seulement d’une logique d’encouragement académique, mais ouvre la voie à une relecture profonde de la nature du conflit et des moyens légaux, éthiques et sécuritaires permettant de l’encadrer.
Reposer la question du terrorisme dans le contexte du Polisario implique des dimensions stratégiques qui dépassent le discours politique traditionnel. Elle s’inscrit dans un effort de construction d’un discours scientifique, documenté, susceptible d’influencer les cercles décisionnels régionaux et internationaux. Mais une question cruciale se pose : quels sont les critères juridiques et politiques permettant de qualifier légalement les milices du Polisario d’organisation terroriste ? Le Maroc dispose-t-il aujourd’hui d’une base de données solide pour appuyer une telle demande de manière cohérente et convaincante ?
L’initiative repose sur une conviction : l’université marocaine n’est pas seulement un espace de transmission du savoir, mais peut devenir un bastion intellectuel dans la défense des causes nationales. Cependant, parier sur les jeunes chercheurs pour aborder un domaine aussi complexe nécessite de les outiller convenablement, notamment en droit international humanitaire, en histoire des mouvements armés, et en critères de classification du terrorisme selon les systèmes juridiques comparés.
Le dossier devient encore plus complexe lorsqu’on considère le contexte global : les attaques contre le passage d’El Guerguerat, les soupçons de liens avec des groupes extrémistes opérant dans le Sahel, l’enrôlement d’enfants dans les camps de Tindouf, ou encore l’existence d’une direction non soumise à aucun contrôle constitutionnel ou juridique. Tous ces éléments constituent des indices pertinents, mais posent aussi le problème de la preuve et de la qualification juridique. Jusqu’à quel point ces indicateurs peuvent-ils former un argumentaire suffisamment solide pour justifier un changement de statut au niveau des instances internationales ? Et quelles sont les entités habilitées à traiter ce genre de requête au niveau international ?
L’Observatoire a lié ce concours à une conférence internationale prévue en mai 2025 à Agadir, ce qui dénote une volonté claire d’internationaliser le débat et de produire un discours exportable sur la scène académique globale. Ce choix impose à son tour de nouveaux défis : unification des concepts, rigueur argumentative, et évitement de tout discours partisan ou propagandiste. Comment un chercheur marocain peut-il maintenir l’équilibre entre engagement patriotique et exigence scientifique ? Les chercheurs étrangers trouveront-ils dans cette argumentation suffisamment de matière juridique pour soutenir la position marocaine, indépendamment de leurs propres orientations politiques ou idéologiques ?
Il semble que le Maroc entre dans une nouvelle phase de plaidoyer, au-delà des discours diplomatiques classiques, vers une production de narratifs scientifiques alternatifs, travaillant sur les concepts, les textes, l’histoire et la documentation. Mais la question n’est pas seulement celle de la légitimité de cette approche, elle est aussi celle de sa pérennité et de sa structuration. S’agira-t-il d’une initiative isolée ? Ou du point de départ d’une stratégie plus large, intégrant pleinement le monde académique à la bataille de souveraineté ?
Aborder la question du Sahara sous l’angle du terrorisme n’est pas un simple jeu de sémantique. C’est une tentative de recomposer l’image de l’adversaire selon de nouveaux critères, et d’amener les soutiens de ce dernier à assumer des conséquences juridiques et sécuritaires adaptées à la réalité du terrain sahélo-saharien. Mais ce défi dépasse les cadres d’une simple conférence ou d’un concours. Il nécessite une vision intégrée, une documentation méticuleuse, et une accumulation de savoirs capables de résister aux tests des tribunes internationales.
En fin de compte, cette initiative illustre l’évolution des moyens de lutte déployés par le Maroc, et la prise de conscience croissante de l’importance du savoir dans les batailles existentielles. Quand l’université devient un acteur du conflit, l’avenir dépend alors de notre capacité à produire un savoir qui ne s’achète pas, qui ne s’impose pas, mais qui s’impose par le respect.