Dans une scène pleine de contradictions, la salle de la Délégation régionale de la Culture à Fès a accueilli, le 23 mars 2025, un colloque intitulé : « Les droits de la femme salariée entre la loi et la réalité », organisé par le Forum Marocain pour le Développement Social, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. L’événement était symbolique, mais le propos douloureux. Car entre les lois abondantes du Code du travail et la dure réalité que vivent des milliers de femmes salariées, se creuse un fossé législatif et social de plus en plus béant.
Alors, sommes-nous réellement face à des lois protectrices, ou à de simples textes brandis contre les critiques mais oubliés dans la mise en œuvre ? Et pourquoi le débat national sur la réforme du Code de la famille ne s’est-il pas encore étendu au Code du travail, notamment en ce qui concerne les droits des femmes salariées ? Peut-on réellement envisager un développement social sans justice pour celles qui portent le fardeau du travail précaire et informel ?
Une législation avancée… pour une réalité en retard
Depuis l’entrée en vigueur du Code du travail en juin 2004, on aurait pu croire que la femme salariée avait conquis une base juridique solide lui garantissant dignité et protection. Mais qu’en est-il en réalité ? Selon l’intervention de M. Abdelrahim Rammah, président du Forum Marocain pour le Développement Social, la majorité des dispositions du Code concernant les femmes ne sont pas appliquées convenablement, voire contournées de manière systématique, notamment dans les secteurs non structurés.
Les textes suffisent-ils à eux seuls pour garantir la justice sociale ? Ou bien le véritable problème réside-t-il dans l’absence de contrôle, la complicité de certains acteurs, et une certaine tolérance envers les abus pour des raisons économiques ou politiques ?
Cinq visages de la violation : quand l’exploitation se diversifie mais que la victime reste la même
Le colloque a mis en lumière une série de violations systématiques touchant les femmes dans divers secteurs, que l’on peut classer en cinq catégories :
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Violations transversales à tous les secteurs : recours aux femmes pour contourner le SMIG, allongement illégal des horaires, non-déclaration à la CNSS, etc.
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Secteur agricole : non-respect du salaire minimum légal, absence de protection sociale, conditions de transport déplorables.
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Secteur du nettoyage : non-respect des huit heures légales de travail, salaires allant de 1200 à 1700 dirhams par mois.
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Travailleuses domestiques : depuis l’entrée en vigueur de la loi 19.12 en 2018, seuls 5000 à 6000 contrats ont été enregistrés au niveau national. Un chiffre dérisoire qui appelle à réfléchir aux mécanismes d’incitation et de contrôle.
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Fonctionnaires hors statut général : travailleuses sous le régime de l’emploi temporaire (emploi de réinsertion ou vacataires) perçoivent des salaires allant de 1700 à 2400 dirhams, souvent sans garanties légales.
Peut-on réellement parler de « développement social » dans un contexte où la dignité des travailleuses est quotidiennement bafouée ? Et comment exiger le respect de la loi quand certaines institutions publiques en sont elles-mêmes les premières contrevenantes ?
Entre discours sur l’autonomisation et réalité de la marginalisation
Les interventions de plusieurs universitaires et militantes syndicales ont soulevé une question essentielle : peut-on réellement autonomiser économiquement la femme sans garantir ses droits fondamentaux au travail ?
Dr. Siham Belguiti Alaoui a insisté sur le fait que l’autonomisation des femmes ne doit pas rester un slogan creux, mais devenir un levier réel de développement, à condition qu’il soit accompagné de justice économique.
Mme Souad Ettayali, quant à elle, a mis en exergue le paradoxe entre la protection prévue pour les travailleuses domestiques et l’humiliation dont elles font l’objet dans la réalité, appelant à une lecture critique de la loi 12.19 qui semble avoir échoué à produire des effets concrets.
Faut-il donc repenser toute la philosophie des lois sociales au Maroc ? Ne faudrait-il pas une véritable révolution juridique et structurelle pour replacer les droits des femmes salariées au cœur de l’agenda étatique, au lieu de les laisser dans une zone grise juridique ?
Entre Code de la famille et Code du travail : la justice sociale est un tout
Alors que la réforme du Code de la famille est en cours, elle ne devrait pas se limiter aux questions de statut personnel. La justice invoquée aujourd’hui restera incomplète si elle ne s’accompagne pas d’une justice économique et sociale capable de protéger les femmes sur leur lieu de travail, et de leur garantir une autonomie réelle.
Le véritable enjeu de cette décennie n’est-il pas de faire de la femme salariée une actrice de la transformation nationale, et non une victime silencieuse d’un système qui prétend l’émanciper tout en l’exploitant ? L’État peut-il encore ignorer ce gouffre entre ce que disent les lois et ce que vivent les femmes ?